Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/282

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

rouges, ce qui dénotait l’abus des liqueurs fortes. Sa bouche serrée laissait voir en s’ouvrant des dents blanches, mais aiguës et séparées : cette bouche était la gueule d’une panthère ; la barbe touffue et emmêlée paraissait souillée d’écume ; les mains étaient tachées de sang.

« D’où te vient ce sabre ? dit Fedor.

— Je l’ai arraché des mains d’un officier que je viens de tuer avec son arme même. Nous sommes vainqueurs, la ville de*** est à nous… Ah ! nous avons fait là bombance… et maison nette !… Tout ce qui n’a pas voulu se joindre à notre troupe et piller avec nous y a passé : femmes, enfants, vieillards, enfin tout !… Il y en a qu’on a fait bouillir dans la chaudière des vétérans sur la grande place…[1]. Nous nous chauffions au même feu où cuisaient nos ennemis ; c’était beau ! »

Fedor ne répondit pas.

« Tu ne dis rien ?

— Je pense.

— Et qu’est-ce que tu penses ?

— Je pense que nous jouons gros jeu… La ville était sans défense : quinze cents habitants et cinquante vétérans sont bientôt mis hors de combat par deux mille paysans tombant sur eux à l’improviste ; mais

  1. Historique.