Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/288

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autres… Crois-tu que nous serons assez simples pour ne pas verser jusqu’à la dernière goutte du sang de Telenef, de notre plus mortel ennemi ?

— Mais elle ne vous a jamais fait que du bien.

— Elle est sa fille, c’est assez !… Nous enverrons le père en enfer, et la fille en paradis. Voilà toute la différence[1].

— Vous ne commettrez pas une telle horreur !

— Qui nous en empêchera ?

— Moi.

— Toi, Fedor ! toi, traître ! toi qui es mon prisonnier : toi qui as déserté l’armée de tes frères, au moment du combat pour… » Il ne put achever.

  1. Il y a peu d’années, lors de la fameuse révolte de la colonie militaire, près de Novgorod la Grande, à cinquante lieues de Pétersbourg, les soldats, exaspérés par les minuties d’un de leurs chefs, résolurent de massacrer les officiers et leurs familles ; ils avaient juré la mort de tous, sans exception, et ils tinrent parole en tuant ceux qu’ils aimaient aussi bien que ceux qu’ils haïssaient. Ayant cerné l’habitation d’un de ces malheureux, ils firent passer devant lui sa femme et ses filles, qu’ils égorgèrent d’abord tout doucement à ses yeux ; puis ils se saisirent de lui. « Vous m’avez privé de tout, leur dit-il, laissez-moi la vie ; pourquoi me l’ôter ? vous n’avez jamais eu à vous plaindre de moi. — C’est vrai, répliquèrent les bourreaux avec beaucoup de douceur ; tu es un brave homme, nous t’avons toujours aimé, nous t’aimons encore, mais les autres y ont passé, nous ne pouvons faire une injustice en ta faveur. Adieu donc, notre bon père !… » Et ils l’ont éventré comme ses camarades, par esprit d’équité. (Note du Voyageur.)