Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/313

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Ne croyez pas que l’absence de l’Empereur rende la conversation plus libre ; il est toujours présent à l’esprit : alors à défaut des yeux c’est la pensée qui fait tournesol. En un mot, l’Empereur est le bon Dieu, il est la vie, il est l’amour pour ce malheureux peuple. C’est en Russie surtout qu’il faudrait répéter sans se lasser la prière du sage : « Mon Dieu, préservez-moi de l’ensorcellement des niaiseries ! »

Vous figurez-vous la vie humaine réduite à l’espoir de faire la révérence au maître pour le remercier d’un regard ? Dieu avait mis trop de passions dans le cœur de l’homme pour l’usage qu’il en fait ici.

Que si je me mets à la place du seul homme à qui l’on y reconnaisse le droit de vivre libre, je tremble pour lui. Terrible rôle à jouer que celui de la providence de soixante millions d’âmes !!! Cette divinité, née d’une superstition politique, n’a que deux partis à prendre : prouver qu’elle est homme en se laissant écraser, ou pousser ses sectateurs à la conquête du monde pour soutenir qu’elle est Dieu ; voilà comment en Russie la vie entière n’est que l’école de l’ambition.

Mais par quel chemin les Russes ont-ils passé pour arriver à cette abnégation d’eux-mêmes ? Quel moyen humain a pu amener un tel résultat politique ? le moyen ?… le voici, c’est le tchinn ; le tchinn est le galvanisme, la vie apparente des corps et des esprits, c’est la passion qui survit à toutes les passions !… Je