Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/315

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d’un de ses paysans peut monter aux premières classes selon le bon plaisir de l’Empereur. Dans cette division du peuple, chaque homme reçoit sa place de la faveur du prince ; et voilà comment la Russie est de venue un régiment de soixante millions d’hommes, c’est ce qu’on appelle le tchinn, et c’est la plus grande œuvre de Pierre le Grand.

Vous voyez de quelle manière ce prince, qui a fait tant de mal par précipitation, s’est affranchi en un jour des entraves des siècles. Ce tyran du bien, quand il a voulu régénérer son peuple, a compté la nature, l’histoire, le passé, le caractère, la vie des hommes, pour rien. De tels sacrifices rendent les grands résultats faciles, aussi Pierre Ier a-t-il fait de grandes choses, mais avec d’immenses moyens ; et ces grandes choses ont été rarement bonnes. Il sentait fort bien et savait mieux que personne que tant que la noblesse subsiste dans une société, le despotisme d’un seul n’y sera jamais qu’une fiction ; donc il s’est dit : pour réaliser mon gouvernement, il faut anéantir ce qui reste du régime féodal, et le meilleur moyen d’atteindre à ce but c’est de faire des caricatures de gentils hommes, d’accaparer la noblesse, c’est-à-dire de la détruire en la faisant dépendre de moi ; aussitôt la noblesse a été sinon abolie, du moins transformée, c’est-à-dire annulée par une institution qui la supplée sans la remplacer. Il est des castes dans cette hiérar-