Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/330

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n’ai pas le droit de me plaindre. La reconnaissance que j’éprouve ici pour l’empressement dont je me vois l’objet est celle d’un soldat enrôlé de force : moi, indépendant avant tout, c’est-à-dire voyageur, je me sens passer sous le joug ; on s’évertue sans cesse à discipliner mes idées….. On ne sait faire autre chose ici que l’exercice ; les esprits y manœuvrent comme les soldats ; chaque soir, en rentrant chez moi, je me tâte pour voir quel uniforme je porte, j’examine mes pensées pour leur demander leur grade, car les idées sont classées en ce pays selon les personnes : à tel rang l’on a ou l’on professe telle manière de voir, et plus on monte, moins on pense, c’est-à-dire moins on ose parler.

Ayant évité soigneusement de me lier avec beaucoup de grands seigneurs, je n’ai bien vu que la cour ; je voulais conserver mes droits de juge indépendant et impartial, je craignais de me faire accuser d’ingratitude ou d’infidélité ; je craignais surtout de rendre des personnes du pays responsables de mes opinions particulières. Mais à la cour j’ai passé en revue toute la société.

L’affectation du ton français, moins l’esprit de conversation naturel à la France, voilà ce qui m’a frappé d’abord. J’ai bien entrevu un esprit russe, esprit caustique, sarcastique, moqueur, et qui me paraîtrait amusant dans une conversation libre, sans