Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/390

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hypocrite. Depuis que j’ai pénétré dans une prison d’État russe, et que j’ai moi-même éprouvé l’impossibilité d’y parler de ce que tout étranger vient pourtant chercher dans un lieu pareil, je me dis que tant de dissimulation doit servir de masque à une profonde inhumanité : ce n’est pas le bien qu’on voile avec un pareil soin.

Si, au lieu de chercher à déguiser la vérité sous une fausse politesse, on m’eût mené simplement dans les lieux qu’il est permis de montrer ; si l’on eût répondu avec franchise à mes questions sur un fait accompli depuis un siècle, j’eusse été moins occupé de ce que je n’aurais pu voir ; mais ce qu’on m’a refusé trop artificieusement m’a prouvé le contraire de ce qu’on voulait me persuader. Tous ces vains détours sont des révélations aux yeux de l’observateur expérimenté. Ce qui m’indignait, c’était que les hommes qui usaient avec moi de ces subterfuges pussent croire que j’étais la dupe de leurs ruses d’enfants. On m’assure, et je tiens ceci de bon lieu, que les cachots sous-marins de Kronstadt renferment, entre autres prisonniers d’État, des infortunés qui s’y trouvent relégués depuis le règne d’Alexandre. Ces malheureux sont abrutis par un supplice dont rien ne peut excuser ni motiver l’atrocité ; s’ils venaient maintenant à sortir de terre, ils se lèveraient comme autant de spectres vengeurs qui feraient reculer d’effroi le despote