Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/395

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monde, se montrait ici à découvert. Cette société, plus franche, était moins polie que celle de la cour, et je vis clairement ce que je n’avais fait que pressentir ailleurs, c’est que l’esprit d’examen, de sarcasme et de critique domine dans les relations des Russes avec les étrangers : ils nous détestent comme tout imitateur hait son modèle ; leurs regards scrutateurs nous cherchent des défauts avec le désir de nous en trouver. Quand j’eus reconnu cette disposition, je ne me sentis nullement porté à l’indulgence. C’est peut-être de cette société, pensais-je, que sortiront les hommes qui feront l’avenir de la Russie. La classe bourgeoise ne fait que de naître en cet Empire, et Dieu sait l’influence qu’elle aura sur les destinées de la Russie !… et du monde !!…

J’avais cru devoir adresser quelques mots d’excuses sur mon ignorance de la langue russe à la personne qui s’était chargée d’abord de causer avec moi ; je finis ma harangue en disant que tout voyageur devrait savoir la langue du pays où il va, attendu qu’il est plus naturel qu’il se donne la peine de s’exprimer comme les personnes qu’il vient chercher que de leur imposer celle de parler comme il parle.

À ce compliment on répondit sur un ton d’humeur : disant qu’il fallait cependant bien me résigner à entendre estropier le français par les Russes sous peine de voyager en muet.