Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/71

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et surtout des hommes en place, d’être économes de tout, excepté de calculs ambitieux. Pour conserver, en vivant à la cour, des sentiments au-dessus du vulgaire, il faudrait être doué d’une âme très-noble ; or, les âmes nobles sont rares.

On ne peut trop le répéter, il n’y a pas de grand seigneur en Russie, parce qu’il n’y a pas de caractères indépendants, excepté les âmes d’élite, qui sont en trop petit nombre pour que le monde obéisse à leurs instincts : c’est la fierté qu’inspire la haute naissance, qui rend l’homme indépendant plus que la richesse, plus que le rang qu’on acquiert par industrie : or, sans indépendance, point de grand seigneur.

Ce pays, si différent du nôtre à bien des égards, se rapproche cependant de la France sous un rapport : il manque de hiérarchie sociale. Grâce à cette lacune dans le corps politique, l’égalité universelle existe en Russie comme elle existe en France ; aussi dans l’un et l’autre pays la masse des hommes a-t-elle l’esprit inquiet : chez nous elle s’agite avec éclat, en Russie les passions politiques sont concentrées. En France chacun peut arriver à tout en partant de la tribune ; en Russie, en partant de la cour : le dernier des hommes, s’il sait plaire au maître, peut devenir demain le premier après l’Empereur. La faveur de ce dieu est un appât qui fait faire des prodiges aux ambitieux comme le désir de la popularité produit chez