Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/97

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peuvent s’y amuser de bon cœur, un étranger ne s’y peut déplaire de bonne foi. Moins on jugerait le fond des choses, et plus l’apparence devrait intéresser. Moi, je pense un peu trop à ce que je ne vois pas pour être tout à fait satisfait de ce que je vois ; néanmoins, tout en m’affligeant, le spectacle me paraît attachant.

La Russie n’a point de passé, disent les amateurs de l’antiquité. C’est vrai ; mais l’avenir et l’espace y servent de pâture aux imaginations les plus ardentes. Le philosophe est à plaindre en Russie, le poëte peut et doit s’y plaire.

Il n’y a de poëtes vraiment malheureux que ceux qui sont condamnés à languir sous le régime de la publicité. Quand tout le monde peut tout dire, le poëte n’a plus qu’à se taire. La poésie est un mystère qui sert à exprimer plus que la parole ; elle ne saurait subsister chez les peuples qui ont perdu la pudeur de la pensée. La vision, l’allégorie, l’apologue, c’est la vérité poétique ; or, dans les pays de publicité, cette vérité-là est tuée par la réalité, toujours trop grossière au gré de la fantaisie. Là, l’élément poétique manque au génie, qui de sa nature produit toujours, mais qui ne produit rien de complet.

Il faut que la nature ait mis un sentiment profondément poétique dans l’âme des Russes, peuple moqueur et mélancolique, pour qu’ils aient trouvé le