Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 3, Amyot, 1846.djvu/15

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en émotions que parce que les départs dont elle se compose sont une répétition de la mort. Voilà sans doute une des raisons qui font qu’on voit en beau ce qu’on quitte ; mais il y en a une autre qu’à peine j’ose indiquer ici.

Dans certaines âmes le besoin de l’indépendance va jusqu’à la passion ; la peur des liens fait qu’on ne s’attache qu’à ce qu’on fuit, parce que l’attrait qu’on sent pour ce qu’on va laisser derrière soi n’engage à rien. On s’enthousiasme sans conséquence ; on part ! Partir, n’est-ce pas faire acte de liberté ? Par l’absence on se dégage des entraves du sentiment ; l’homme jouit en toute sécurité du plaisir d’admirer ce qu’il ne reverra jamais ; il s’abandonne à ses affections, à ses préférences, sans crainte et sans contrainte : il sait qu’il a des ailes !!… Mais quand, à force de les déployer et de les reployer, il sent qu’il les use ; quand il découvre que le voyage l’instruit moins qu’il ne le fatigue, alors le temps du retour et du repos est venu ; je m’aperçois qu’il approche pour moi.

C’était la nuit : l’obscurité a son prestige comme l’absence, comme elle, elle nous force à deviner ; aussi vers la fin de la journée l’esprit s’abandonne à la rêverie, le cœur s’ouvre à la sensibilité, aux regrets ; quand tout ce qu’on voit disparaît, il ne reste que ce qu’on sent : le présent meurt, le passé revient ; la mort, la terre, rendent ce qu’elles avaient