Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 4, Amyot, 1846.djvu/406

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— Du froid, oui, me répondit-il ; mais il ne faut pas dire que les Russes manquent d’humanité.

— Si cela était vrai, pourtant, quel mal y aurait-il à le dire ? Pourquoi faudrait-il laisser les Russes se vanter partout des vertus qu’ils n’auraient pas ?

— Nous avons reçu, dans l’intérieur du pays, des secours inespérés. Des paysannes, de grandes dames nous envoyaient des vêtements pour nous garantir du froid, des remèdes pour nous guérir, des aliments et jusqu’à du linge ; plusieurs d’entre elles bravaient, pour venir nous soigner jusque dans nos bivouacs, la contagion que nous portions avec nous, car la misère nous avait donné d’affreuses maladies qui se répandaient à notre suite dans les pays qu’on nous faisait traverser. Il fallait, pour arriver jusqu’à nos haltes, non pas une compassion légère, mais un grand courage, une véritable vertu ; j’appelle cela de l’humanité.

— Je ne prétends pas dire qu’il n’y ait nulle exception à la dureté de cœur qu’en général j’ai reconnue chez les Russes. Partout où il y a des femmes, il y a de la pitié ; les femmes de tous les pays sont quelquefois héroïques dans la compassion ; mais il n’en est pas moins vrai qu’en Russie les lois, les habitudes, les mœurs, les caractères sont empreints d’une cruauté dont nos malheureux prisonniers ont eu trop à souffrir pour que nous puissions beaucoup célébrer l’humanité des habitants de ce pays-là.

— J’ai souffert chez eux comme les autres et plus que bien d’autres, car, revenu dans ma patrie, je suis resté presque aveugle ; depuis trente ans j’ai eu recours, sans succès, à tous les moyens de l’art pour guérir mes yeux ; ma vue est à moitié perdue ; l’influence des rosées de la nuit en