Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 4, Amyot, 1846.djvu/413

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tour de lui ; la connaissance lui était revenue, mais il ne pouvait donner aucun signe de vie. Une jeune femme, frappée de la beauté des traits et de l’expression touchante de la figure de ce mort, s’approche de notre malheureux camarade ; elle reconnaît qu’il vit encore, appelle du secours, et fait emporter, soigner, guérir l’étranger qu’elle a ressuscité. Celui-ci, revenu en France après plusieurs années de captivité, n’a pas non plus écrit son histoire.

— Mais vous, monsieur, vous, homme instruit, homme indépendant, pourquoi n’avez-vous pas publié le récit de votre captivité ? Des faits de cette nature, bien avérés, auraient intéressé le monde entier.

— J’en doute ; le monde est composé de gens si occupés d’eux-mêmes que les souffrances des inconnus les touchent peu. D’ailleurs j’ai une famille, un état, je dépends de mon gouvernement, qui est en bons rapports avec le gouvernement russe, et qui ne verrait pas avec plaisir un de ses sujets publier des faits qu’on s’efforce de cacher dans le pays où ils se passent[1].

— Je suis persuadé, monsieur, que vous calomniez votre gouvernement ; vous seul, permettez-moi de vous le dire, vous me paraissez à blâmer en tout ceci par votre excès de prudence.

— Peut-être ; mais je n’imprimerai jamais que les Russes manquent d’humanité.

  1. Par quel art le cabinet russe, ce gouvernement révolutionnaire par essence, est-il parvenu à persuader à tous les cabinets de l’Europe qu’il représentait le principe anti-révolutionnaire dans le monde entier ? Ceci est un prodige dont j’ai jusqu’à présent demandé en vain l’explication. Où en serions-nous si l’ordre social était nécessairement confondu avec le gouvernement despotique ?