Page:Cuvier - Recueil des éloges historiques vol 1.djvu/165

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bientôt l'estime et l'amitié de son protecteur, devint le confident de ses travaux, et fut surtout employé par lui à recueillir et à ordonner les immenses matériaux de l’Esprit des Lois ; il assista en quelque sorte à la création de cet ouvrage, qui ne lui présentait plus cette jurisprudence étroite qui l’avait tant rebuté, mais qui le faisait jouir du spectacle nouveau pour lui de la nature des choses, aussi impérieuse dans la formation des liens qui unissent les hommes, que dans celle des lois qui régissent les corps inanimés. Aussi possédait-il parfaitement ce livre immortel ; et personne n'entendait mieux et ne citait plus si propos ces lignes, si concises et d'un sens si profond, que les hommes ordinaires trouvaient jadis obscures, et dont les événements de nos jours ont donné un si lumineux et quelquefois un si effrayant commentaire.

Cette intime confiance ne finit qu’avec la vie de Montesquieu, et ce fut même alors que celui-ci en donna la plus grande preuve. Persécuté en vain sur son lit de mort pour rétracter des passages de son livre qui n'avaient pas paru conformes à l'opinion dominante, il s‘aperçut, que ceux qui l'obsédaient, désespérant de réussir dans leur entreprise, voulaient au moins glisser dans ses papiers quelque écrit qui contiendrait une rétractation, et qu'on donnerait comme de lui quand il ne serait plus. Ses parents étaient gagnés, et ses amis absents : ce fut à Darcet qu'il eut recours ; il lui remit les clefs de ses manuscrits, et celui-ci fut obligé d'employer la force pour ne pas se les voir arracher. Ce dernier acte, par lequel son ami lui léguait en quelque sorte le soin de son hon-