Page:Cyrano de Bergerac - L autre monde ou Les états et empires de la lune et du soleil, nouv éd, 1932.djvu/104

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vous rendre mortel comme les autres animaux, vous fit obséder par cet insatiable, afin que si vous lui donniez trop à manger, vous vous étouffassiez ; ou si lors qu’avec les dents invisibles dont cet affamé mord votre estomac, vous lui refusiez sa pitance, il criât, il tempêtât, il dégorgeât ce venin que vos docteurs appellent la bile, et vous eschauffât tellement par le poison qu’il inspire à vos artères que vous en fussiez bientôt consumé. Enfin pour vous montrer que vos boyaux sont un serpent que vous avez dans le corps, souvenez-vous qu’on en trouva dans les tombeaux d’Esculape, de Scipion, d’Alexandre, de Charles-Martel et d’Édouard d’Angleterre qui se nourrissoient encore des cadavres de leurs hôtes. — En effet, lui dis-je en l’interrompant, j’ai remarqué que comme ce Serpent essaie toujours de s’échapper du corps de l’homme, on lui voit la tête et le col sortir au bas de nos ventres (45). Mais aussi Dieu n’a pas permis que l’homme seul en fût tourmenté, il a voulu qu’il se bandât contre la femme pour lui jeter son venin, et que l’enflure durât neuf mois après l’avoir piquée. Et pour vous montrer que je parle suivant la parole du Seigneur, c’est qu’il dit au Serpent pour le maudire qu’il auroit beau faire trébucher la femme en se roidissant contre elle, qu’elle lui feroit enfin baisser la tête. »

Je voulois continuer ces fariboles, mais Hélie m’en empêcha : « Songez, dit-il, que ce lieu est Saint. » Il se tut en suite quelque temps comme pour se ramentevoir de l’endroit où il étoit demeuré, puis il prit ainsi la parole : « Je ne tâte du Fruit de Vie que de cent ans en cent ans, son jus a pour le goût quelque rapport avec l’esprit de vin ; ce fut je crois cette pomme qu’Adam avoit mangée qui fut cause que nos premiers pères vécurent si longtemps, pour ce qu’il étoit coulé dans leur semence quelque chose de son énergie jusques à ce qu’elle s’éteignît dans les