Page:Cyrano de Bergerac - L autre monde ou Les états et empires de la lune et du soleil, nouv éd, 1932.djvu/176

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aux pompes funèbres de mon Pays ; il me répondit que ce méchant et nommé du peuple par une chiquenaude sur le genou droit, qui avoit été convaincu d’envie et d’ingratitude (125), étoit décédé le jour précédent, et que le Parlement l’avoit condamné il y avoit plus de vingt ans à mourir de mort naturelle et dans son lit, et puis d’être enterré après sa mort. Je me pris à rire de cette réponse ; et lui m’interrogeant pourquoi : « Vous m’étonnez, dis-je, de dire que ce qui est une marque de bénédiction dans notre Monde, comme la longue vie, une mort paisible, une sépulture honorable, serve en celui-ci d’une punition exemplaire. — Quoi ! vous prenez la sépulture pour une marque de bénédiction ! me repartit cet homme. Et par votre foi, pouvez-vous concevoir quelque chose de plus épouvantable qu’un cadavre marchant sous les vers dont il regorge, à la merci des crapauds qui lui mâchent les joues ; enfin la peste revêtue du corps d’un homme (126) ? Bon Dieu ! la seule imagination d’avoir, quoique mort, le visage embarrassé d’un drap, et sur la bouche une pique (127) de terre me donne de la peine à respirer ! Ce misérable que vous voyez porter, outre l’infamie d’être jeté dans une fosse, a été condamné d’être assisté dans son convoi de cent cinquante de ses amis, et commandement à eux, en punition d’avoir aimé un envieux et un ingrat, de paroître à ses funérailles avec un visage triste ; et sans que les Juges en ont eu pitié, imputant en partie ses crimes à son peu d’esprit, ils auroient ordonné d’y pleurer (128). Hormis les criminels, on brûle ici tout le monde (129) : aussi est-ce une coutume très décente et très raisonnable, car nous croyons que le feu ayant séparé le pur d’avec l’impur, la chaleur rassemble par sympathie cette chaleur naturelle qui faisoit l’âme, et lui donne la force de s’élever toujours, et montant jusques à quelque