Page:Cyrano de Bergerac - L autre monde ou Les états et empires de la lune et du soleil, nouv éd, 1932.djvu/184

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habile médecin de notre Monde conseille au malade de prendre plutôt un médecin ignorant qu’on estimera pourtant fort habile, qu’un fort habile qu’on estimera ignorant, parce qu’il se figure que notre imagination travaillant à notre santé, pourvu qu’elle soit aidée de remèdes, est capable de nous guérir ; mais que les plus puissans étoient trop foibles, quand l’imagination ne les appliquoit pas. Vous étonnez-vous que les premiers hommes de votre Monde vivoient tant de siècles sans avoir aucune connoissance de la médecine ? non, et qu’est-ce à votre avis qui en pouvoit être la cause, sinon leur nature encore dans sa force et ce baume universel qui n’est pas encore dissipé par les drogues dont vos Médecins vous consument ? n’ayant lors pour rentrer en convalescence qu’à le souhaiter fortement, et s’imaginer d’être guéris ? Aussi leur fantaisie vigoureuse, se plongeant dans cette huile vitale, en attiroit l’élixir, et appliquant l’actif au passif, ils se trouvoient presque dans un clin d’œil aussi sains qu’auparavant : ce qui malgré la dépravation de la Nature ne laisse pas de se faire encore aujourd’hui, quoiqu’un peu rarement à la vérité ; mais le populaire l’attribue à miracle. Pour moi je n’en crois rien du tout, et je me fonde sur ce qu’il est plus facile que tous ces docteurs se trompent, que cela n’est facile à faire ; car je leur demande : Le fiévreux, qui vient d’être guéri, a souhaité bien fort pendant sa maladie, comme il est vraisemblable, d’être guéri, et même il a fait des vœux pour cela ; de sorte qu’il falloit nécessairement qu’il mourût, ou qu’il demeurât dans son mal, ou qu’il guérît ; s’il fut mort, on eut dit que Dieu l’a voulu récompenser de ses peines ; on le fera peut être malicieusement équivoquer en disant que, selon la prière du malade, il l’a guéri de tous ses maux ; s’il fut demeuré dans son infirmité, on auroit dit qu’il n’avoit pas la foi ; mais parce