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Page:Cyrano de Bergerac - L autre monde ou Les états et empires de la lune et du soleil, nouv éd, 1932.djvu/209

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le grand Dieu vivant… » À ces mots il hésita ; mais répétant toujours le grand Dieu vivant, et cherchant d’un visage effaré son Pasteur pour lui souffler le reste, quand il vit que, de quelque côté qu’il allongeât la vue, son Pasteur ne paraissoit point, un si effroyable tremblement le saisit, qu’à force de claquer, la moitié de ses dents en tombèrent, et les deux tiers de la gamme sous lesquels il étoit gisant, s’écartèrent en papillotes. Il se retourna pourtant vers moi, et d’un regard ni doux ni rude, où je voyois son esprit flotter pour résoudre lequel seroit plus à propos de s’irriter ou de s’adoucir : « Ho bien, dit-il, Satanus Diabolas, par le sangué ! je te conjure, au nom de Dieu, et de Monsieur Saint-Jean, de me laisser faire ; car si tu grouilles ni pied ni patte, diable emporte je t’étriperai. » Je tiraillois contre lui la bride de mon cheval ; mais les éclats de rire qui me suffoquoient, m’ôtèrent toute force. Ajoutez à cela qu’une cinquantaine de Villageois sortirent de derrière une haie, marchant sur leurs genoux, et s’égosillant à chanter Kyrie Eleison. Quand ils furent assez proche, quatre des plus robustes, après avoir trempé leurs mains dans un bénitier que tenoit tout exprès le Serviteur du Presbytère, me prirent au collet. J’étois à peine arrêté, que je vis paroître Messire Jean, lequel tira dévotement son étole dont il me garrotta ; et ensuite une cohue de femmes et d’enfans, qui malgré toute ma résistance me cousirent dans une grande nappe ; au reste j’en fus si bien entortillé, qu’on ne me voyoit que la tête. En cet équipage, ils me portèrent à Toulouse comme s’ils m’eussent porté au monument. Tantôt l’un s’écrioit que sans cela il y auroit eu famine, parce que lorsqu’ils m’avoient rencontré, j’allois assurément jeter le sort sur les blés ; et puis j’en entendois un autre qui se plaignoit que le claveau n’avoit commencé dans sa bergerie, que d’un