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Geôlier étoit descendu, et le ciel étoit obscurci, quand j’exposai cette machine au sommet de ma Tour, c’est-à-dire au lieu le plus découvert de ma terrasse. Elle fermoit si close, qu’un seul grain d’air, hormis par les deux ouvertures, ne s’y pouvoit glisser, et j’avois emboîté par dedans un petit ais fort léger qui servoit à m’asseoir. Tout cela disposé de la sorte, je m’enfermai dedans, et j’y demeurai près d’une heure, attendant ce qu’il plairoit à la fortune d’ordonner de moi.

Quand le Soleil débarrassé de nuages commença d’éclairer ma machine, cet icosaèdre transparent qui recevoit à travers ses facettes les trésors du Soleil, en répandoit par le bocal la lumière dans ma cellule ; et comme cette splendeur s’affaiblissoit à cause des rayons qui ne pouvoient se replier jusqu’à moi sans se rompre beaucoup de fois, cette vigueur de clarté tempérée convertissoit ma châsse en un petit ciel de pourpre émaillé d’or.

J’admirois avec extase la beauté d’un coloris si mélangé, et voici que tout à coup je sens mes entrailles émues de la même façon que les sentiroit tressaillir quelqu’un enlevé par une poulie.

J’allois ouvrir mon guichet pour connoître la cause de cette émotion ; mais comme j’avançois la main, j’aperçus par le trou du plancher de ma boîte, ma Tour déjà fort basse au-dessous de moi, et mon petit château en l’air, poussant mes pieds contre-mont, me fit voir en un tournemain Toulouse qui s’enfonçoit en terre. Ce prodige m’étonna, non point à cause d’un essor si subit, mais à cause de cet épouvantable emportement de la raison humaine au succès d’un dessein qui m’avoit même effrayé en l’imaginant. Le reste ne me surprit pas, car j’avois bien prévu que le vide qui surviendroit dans l’icosaèdre à cause des rayons unis du Soleil par les verres concaves,