Page:Cyrano de Bergerac - L autre monde ou Les états et empires de la lune et du soleil, nouv éd, 1932.djvu/245

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palpable suffoqua mon verre de ténèbres ; et, quand je voulus me mettre debout pour contempler ce noir dont j’étois aveuglé, je ne vis plus ni vase, ni miroirs, ni verrière, ni couverture à ma cabane. Je baissai donc la vue à dessein de regarder ce qui faisoit ainsi choir mon chef-d’œuvre en ruine : mais je ne trouvai à sa place, et à celle des quatre côtés et du plancher, que le Ciel tout autour de moi. Encore ce qui m’effraya davantage, ce fut de sentir comme si le vague de l’air se fût pétrifié, je ne sais quel obstacle invisible qui repoussoit mes bras quand je les pensois étendre. Il me vint alors dans l’imagination qu’à force de monter, j’étois sans doute arrivé dans le Firmament, que certains Philosophes et quelques Astronomes ont dit être solide (181). Je commençai à craindre d’y demeurer enchâssé ; mais l’horreur dont me consterna la bizarrerie de cet accident, s’accrut bien davantage par ceux qui succédèrent ; car ma vue qui vaguoit çà et là, étant par hasard tombée sur ma poitrine, au lieu de s’arrêter à la superficie de mon corps, passa tout à travers ; puis un moment ensuite je m’avisai que je regardois par derrière, et presque sans aucun intervalle. Comme si mon corps n’eût plus été qu’un organe de voir, je sentis ma chair, qui s’étant décrassée de son opacité, transféroit les objets à mes yeux, et mes yeux aux objets par chez elle. Enfin après avoir heurté mille fois sans la voir, la voûte, le plancher, et les murs de ma chaise, je connus que par une secrète nécessité de la lumière dans sa source, nous étions ma cabane et moi devenus transparens. Ce n’est pas que je ne la dusse apercevoir, quoique diaphane, puisqu’on aperçoit bien le verre, le cristal, et les diamans, qui le sont ; mais je me figure que le Soleil, dans une région si proche de lui, purge bien plus parfaitement les corps de leur opacité, en arrangeant plus droits les pertuis imperceptibles de la matière, que dans