Page:Cyrano de Bergerac - L autre monde ou Les états et empires de la lune et du soleil, nouv éd, 1932.djvu/251

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m’attendre sur les confins de la région ténébreuse dont je parle, où m’ayant rattrapé, il m’arrêta prisonnier, enferma mes yeux, ses ennemis déclarés, sous la noire voûte de mes paupières ; et de peur que mes autres sens le trahissant comme ils m’avoient trahi, ne l’inquiétassent dans la paisible possession de sa conquête, il les garrotta chacun contre leur lit. Tout cela veut dire en deux mots, que je me couchai sur le sable fort assoupi. C’étoit une rase campagne tellement découverte, que ma vue de sa plus longue portée, n’y rencontroit pas seulement un buisson ; et cependant, à mon réveil, je me trouvai sous un Arbre, en comparaison de qui les plus hauts cèdres ne paraîtroient que de l’herbe. Son tronc étoit d’or massif, ses rameaux d’argent, et ses feuilles d’émeraudes, qui dessus l’éclatante verdeur de leur précieuse superficie, se représentoient comme dans un miroir les images du fruit qui pendoit alentour. Mais jugez si le fruit devoit rien aux feuilles. L’écarlate enflammée d’un gros escarboucle composoit la moitié de chacun, et l’autre mettoit en suspens si elle tenoit sa matière d’une chrysolite, ou d’un morceau d’ambre doré ; les fleurs épanouies étoient des roses de diamant fort larges, et les boutons de grosses perles en poire.

Un Rossignol, que son plumage uni rendoit beau par excellence, perché tout au coupeau[1], sembloit avec sa mélodie vouloir contraindre les yeux de confesser aux oreilles qu’il n’étoit pas indigne du trône où il étoit assis.

Je restai longtemps interdit à la vue de ce riche spectacle, et je ne pouvois m’assouvir de le regarder. Mais comme j’occupois toute ma pensée à contempler entre les autres fruits une pomme de grenade extraordinaire-

  1. Faîte, sommet.