Page:Cyrano de Bergerac - L autre monde ou Les états et empires de la lune et du soleil, nouv éd, 1932.djvu/294

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et je vous conterois tous les miracles dont ces amans ont étonné leur siècle, si je ne craignois que tant de lumière n’offensât les yeux de votre raison, c’est pourquoi je peindrai ces deux jeunes soleils seulement dans leur éclipse (215).

« Il vous suffira donc de savoir qu’un jour le brave Oreste, engagé dans une bataille, cherchoit son cher Pylade pour goûter le plaisir de vaincre ou de mourir en sa présence. Quand il l’aperçut au milieu de cent bras de fer élevés sur sa tête, hélas ! que devint-il ? Désespéré, il se lança à travers une forêt de piques, il cria, il hurla, il écuma : Mais que j’exprime mal l’horreur des mouvements de cet inconsolable ! Il s’arracha les cheveux, il mangea ses mains, il déchira ses plaies. Encore, au bout de cette description, suis-je obligé de dire que le moyen d’exprimer sa douleur mourut avec lui. Quand avec son épée il se croyoit faire un chemin pour aller secourir Pylade, une montagne d’Hommes s’opposoit à son passage. Il les pénétra pourtant ; et après avoir longtemps marché sur les sanglans trophées de sa victoire, il s’approcha peu à peu de Pylade ; mais Pylade lui sembla si proche du trépas, qu’il n’osa presque plus parer aux ennemis, de peur de survivre à la chose pour laquelle il vivoit. On eût dit même, à voir ses yeux déjà tout pleins des ombres de la mort, qu’il tâchoit avec ses regards d’empoisonner les meurtriers de son ami. Enfin Pylade tomba sans vie ; et l’amoureux Oreste, qui sentoit pareillement la sienne sur le bord de ses lèvres, la retint toujours, jusqu’à ce que d’une vue égarée ayant cherché parmi les morts, et retrouvé Pylade, il sembla, collant sa bouche vouloir jeter son âme dedans le corps de son ami.

« Le plus jeune de ces Héros expira de douleur sur le cadavre de son ami mort, et vous saurez que de la pourriture de leur tronc qui sans doute avoit engrossé la