Page:Cyrano de Bergerac - L autre monde ou Les états et empires de la lune et du soleil, nouv éd, 1932.djvu/297

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

pareil : aussi tant que subsista cette amoureuse compagnie, les Thébains qui passoient auparavant pour les pires soldats d’entre les Grecs, battirent et surmontèrent toujours depuis les Lacédémoniens mêmes, les plus belliqueux peuples de la Terre.

Mais entre un nombre infini de louables actions dont ces pommes furent cause, ces mêmes pommes en produisirent innocemment de bien honteuses.

« Mirra, jeune demoiselle de qualité, en mangea avec Cinyre son Père ; malheureusement l’une étoit de Pylade et l’autre d’Oreste. L’amour aussitôt absorba la nature, et la confondit en telle sorte que Cinyre pouvoit jurer : « Je suis mon gendre » ; et Mirra : « Je suis ma marâtre. » Enfin je crois que c’est assez pour vous apprendre tout ce crime, d’ajouter qu’au bout de neuf mois le Père devint aïeul de ceux qu’il engendra, et que la Fille enfanta ses Frères.

« Encore le hasard ne se contenta pas de ce crime, il voulut qu’un Taureau étant entré dans les jardins du Roi Minos, trouva malheureusement sous un arbre d’Oreste quelques pommes qu’il engloutit ; je dis malheureusement, parce que la Reine Pasiphaé tous les jours mangeoit de ce fruit. Les voilà donc furieux d’amour l’un pour l’autre. Je n’en expliquerai point toutefois l’énorme jouissance ; il suffira de dire que Pasiphaé se plongea dans un crime qui n’avoit point encore eu d’exemple.

« Le fameux sculpteur Pygmalion, précisément dans ce temps-là, tailloit au Palais une Vénus de marbre. La Reine qui aimoit les bons ouvriers, par régal (216) lui fit présent d’une couple de ces pommes : il en mangea la plus belle ; et parce que l’eau qui comme vous savez est nécessaire à l’incision du marbre, vint hasardeusement à lui manquer, il humecta sa statue [de l’autre]. Le marbre en même temps pénétré par ce suc, s’amollit peu à peu ; et l’éner-