Page:Cyrano de Bergerac - L autre monde ou Les états et empires de la lune et du soleil, nouv éd, 1932.djvu/302

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

qu’il étoit facile à connoître que c’étoit plutôt pour le baiser, que par inclination naturelle de tendre en bas. On remarquoit même que de jalousie il arrangeoit et pressoit ses feuilles l’une contre l’autre, de peur que les rayons du jour, se glissant à travers, ne le baisassent aussi bien que lui. Le Roi de son côté ne garda plus de bornes dans son amour. Il fit dresser son lit au pied du Platane, et le Platane qui ne savoit comment se revancher de tant d’amitié, lui donnoit ce que les arbres ont de plus cher, c’étoit son miel et sa rosée qu’il distilloit tous les matins sur lui.

« Leurs caresses auroient duré davantage, si la mort ennemie des belles choses ne les eût terminées : Artaxerce expira d’amour dans les embrassemens de son cher Platane ; et tous les Perses affligés de la perte d’un si bon Prince, voulurent, pour lui donner encore quelque satisfaction après sa mort, que son corps fût brûlé avec les branches de cet arbre, sans qu’aucun autre bois fût employé à le consumer.

« Quand le bûcher fut allumé, on vit sa flamme s’entortiller avec celle de la graisse du corps ; et leurs chevelures ardentes qui se boucloient l’une à l’autre, s’effiler en pyramide jusqu’à perte de vue.

« Ce feu pur et subtil ne se divisa point ; mais quand il fut arrivé au Soleil, où comme vous savez toute matière innée aboutit, il forma le germe du pommier d’Oreste que vous voyez là à votre main droite.

« Or l’engeance de ce fruit s’est perdue en votre Monde ; et voici comment ce malheur arriva :

« Les pères et les mères qui, comme vous savez, au gouvernement de leurs familles ne se laissent conduire que par l’intérêt, fâchés que leurs enfans aussitôt qu’ils avoient goûté de ces pommes, prodiguoient à leur ami tout ce qu’ils possédoient, brûlèrent autant de ces plantes