Page:Cyrano de Bergerac - L autre monde ou Les états et empires de la lune et du soleil, nouv éd, 1932.djvu/320

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ces cinq Ruisseaux viennent se dégorger dedans, ils ne courent que quinze ou seize heures ; et cependant ils paroissent si fatigués quand ils arrivent, qu’à peine se peuvent-ils remuer ; mais ils témoignent leur lassitude par des effets bien différens, car celui de la Vue s’étrécit à mesure qu’il s’approche de l’étang du Sommeil ; l’Ouïe à son embouchure se confond, s’égare et se perd dans la vase ; l’Odorat excite un murmure semblable à celui d’un homme qui ronfle ; le Goût, affadi du chemin, devient tout à fait insipide ; et le Toucher, naguère si puissant, qu’il logeoit tous ses compagnons, est réduit à cacher sa demeure. De son côté la Nymphe de la Paix qui fait sa demeure au milieu du Lac, reçoit ses hôtes à bras ouverts, les couche dans son lit, et les dorlote avec tant de délicatesse, que pour les endormir, elle prend elle-même le soin de les bercer. Quelque temps après s’être ainsi confondus dans ce vaste rond-d’eau, on le voit à l’autre bout se partager derechef en cinq Ruisseaux qui reprennent les mêmes noms en sortant qu’ils avoient laissés en entrant.. Mais les plus hâtés de partir, et qui tiraillent leurs compagnons pour se mettre en chemin, c’est l’Ouïe et le Toucher ; car pour les trois autres ils attendent que ceux-ci les éveillent, et le Goût spécialement demeure toujours derrière les autres. »

Le noir concave d’une grotte se voûte par-dessus le lac du Sommeil. Quantité de tortues se promènent à pas lents sur les rivages ; mille fleurs de pavot communiquent à l’eau en s’y mirant, la vertu d’endormir (237) ; on voit jusqu’à des marmottes arriver de cinquante lieues pour y boire ; et le gazouillis de l’onde est si charmant, qu’il semble qu’elle se froisse contre les cailloux avec mesure, et tâche de composer une musique assoupissante.

Le sage Campanella prévit sans doute que j’en allois