Page:Cyrano de Bergerac - L autre monde ou Les états et empires de la lune et du soleil, nouv éd, 1932.djvu/332

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« Toutefois, ajouta-t-il, se tournant vers la Femme, il faut nécessairement que vous acheviez votre voyage ; car c’est à Socrate (248) auquel on a donné la Surintendance des mœurs, qu’appartient de vous juger. Je vous conjure cependant de nous apprendre de quelle contrée vous êtes, parce que comme il n’y a que trois ou quatre ans que je suis arrivé en ce Monde-ci, je n’en connais encore guère la carte.

— Nous sommes, répondit-elle, du royaume des Amoureux : ce grand État confine d’un côté à la République de la Paix, et de l’autre à celle des Justes.

« Au pays d’où je viens, à l’âge de seize ans, on met les garçons au Noviciat d’amour ; c’est un palais fort somptueux, qui contient presque le quart de la Cité. Pour les filles, elles n’y entrent qu’à treize. Ils font là les uns et les autres leur année de probation, pendant laquelle les garçons ne s’occupent qu’à mériter l’affection des filles, et les filles à se rendre dignes de l’amitié des garçons. Les douze mois expirés, la Faculté de Médecine va visiter en corps ce Séminaire d’Amans. Elles les tâte tous l’un après l’autre, jusqu’aux parties de leurs personnes les plus secrètes, les fait coupler à ses yeux, et puis selon que le mâle se rencontre à l’épreuve vigoureux et bien conformé, on lui donne pour femmes dix, vingt, trente ou quarante filles de celles qui le chérissoient, pourvu qu’ils s’aiment réciproquement. Le marié cependant ne peut coucher qu’avec deux à la fois, et il ne lui est pas permis d’en embrasser aucune, tandis qu’elle est grosse. Celles qu’on reconnoît stériles ne sont employées qu’à servir ; et des hommes impuissants se font les esclaves qui se peuvent mêler charnellement avec les Bréhaignes (249). Au reste quand une famille a plus d’enfants qu’elle n’en peut nourrir, la République les entretient ; mais c’est un malheur qui n’arrive guère, pour ce qu’aussitôt qu’une