Page:Démosthène - Œuvres complètes, Stiévenart, 1870.djvu/399

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digression sur les exploits de vos devanciers m’a fait omettre quelques faits et quelques décrets. Je reprends mon récit.

Arrivés à Thèbes, nous y trouvâmes les députés de Philippe, des Thessaliens, et des autres alliés. Nos amis étaient consternés, ceux du Macédonien pleins d’assurance. Et ce n’est pas mon intérêt qui me fait parler ainsi : qu’on lise la lettre que nous écrivîmes aussitôt de Thèbes. [212] Mais ici cet homme a reculé les bornes de la calomnie : le succès, il l’attribue aux circonstances, jamais à moi ; le revers, c’est à moi, à ma fortune, qu’il l’impute ! Ainsi, moi, homme de conseil et de parole, je ne suis pour rien dans ce qui s’est fait par la parole et le conseil ! et l’unique cause des malheurs de la guerre, c’est moi ! Fut-il jamais délateur plus atroce, plus exécrable ? — Lis la lettre.

Lettre.

(Cette pièce et les suivantes manquent.)

[213] Les Thébains s’assemblent ; les députés macédoniens sont introduits avant nous, à titre d’alliés. Ils montent à la tribune, louent beaucoup Philippe, se plaignent beaucoup de vous, rappellent tout ce que vous aviez jamais fait d’hostile contre Thèbes. Leur conclusion est que, pour reconnaître les services du prince, pour se venger de vos injures, les Thébains doivent, à leur choix, ou lui livrer passage, ou fondre avec lui sur notre contrée. Déférez à nos conseils, ajoutent-ils, et les troupeaux, les esclaves, les richesses de l’Attique vont passer en Béotie ; mais, si vous écoutez les Athéniens, voyez la Béotie dévastée par la guerre, et bien d’autres paroles tendant au même but. [214] Je voudrais, pour tout au monde, vous rapporter en détail notre réponse. Mais ils ne sont plus, ces jours mauvais qui rappellent à notre esprit les calamités dont la Grèce fut inondée, et je crains de vous fatiguer d’un récit inutile. Écoutez seulement ce que nous persuadâmes aux Thébains, et ce qu’ils répondirent. — Prends et lis.

Réponse des Thébains.

[215] Bientôt après ils vous appellent, ils vous pressent ; vous partez, vous les secourez. J’omets les faits intermédiaires. L’accueil fut si fraternel, que, laissant leurs hoplites et leur cavalerie hors des murs, ils reçurent votre armée dans leur ville, dans leurs maisons, au milieu de leurs enfants, de leurs femmes, de tout ce qu’ils ont de plus cher. Ainsi, dans ce jour mémorable, les Thébains publièrent, de la manière la plus éclatante, le triple éloge de votre valeur, de votre équité, de votre tempérance. En effet, aimer mieux combattre avec vous que contre vous, c’était vous reconnaître plus braves, plus justes que Philippe ; et vous confier ce qui, chez eux comme chez tous les peuples, est gardé avec le plus de soin, leurs épouses, leurs familles, c’était déclarer qu’ils avaient foi en votre retenue. [216] Sur tous ces points, Athéniens, leur opinion à votre égard fut hautement justifiée : durant le séjour de l’armée dans Thèbes, pas une plainte, même injuste, ne fut portée contre vous, tant vous montrâtes de modération ! Dans les deux premiers combats (116), l’un près du fleuve, l’autre en hiver, vous parûtes, je ne dis pas irrépréhensibles, mais admirables, par la discipline, le bon ordre, l’ardeur du courage. Aussi, chez tous les peuples, ce n’étaient que louanges des Athéniens ; chez nous, sacrifices, fêtes en l’honneur des Dieux !

[217] Je ferais ici volontiers une question à Eschine. Au milieu de ces réjouissances, de ces transports d’allégresse, de ces félicitations dont notre ville retentissait, prenait-il part à la joie, aux prières publiques ? ou bien, triste, gémissant, malheureux du bonheur de tous, se cachait-il dans sa maison ? S’il était présent, si on l’a vu parmi ses concitoyens, peut-il sans crime, sans impiété, vouloir que cette alliance qu’il a lui-même approuvée, célébrée à la face des Dieux, vous la condamniez aujourd’hui, vous qui, par ces mêmes Dieux, avez juré d’être justes ? S’il fuyait nos temples, ne mérite-t-il pas mille morts, celui qu’affligeait la joie universelle ? — Lis les décrets.

Décrets concernant les sacrifices.

[218] Athènes était donc alors occupée de sacrifices, et Thèbes nous regardait comme ses sauveurs. Un peuple que la politique des méchants semblait avoir réduit à mendier des secours en donna aux autres, grâce à mes conseils. Mais quels cris jeta Philippe ? quelles furent ses alarmes ? vous l’apprendrez par les lettres qu’il envoya dans le Péloponnèse (117). On va les lire, afin que vous jugiez ce qu’ont produit ma persévérance, mes courses, mes fatigues, et ces nombreux décrets qu’Eschine a souillés de ses morsures.

[219] Athéniens, vous avez eu avant moi beaucoup d’illustres orateurs : un Callistrate, un Aristophon, un Céphale, un Thrasybule, mille autres ; mais aucun ne se voua jamais à toutes les parties d’une affaire. L’auteur du décret ne se serait point chargé de l’ambassade ; l’ambassadeur, du décret ; chacun se ménageait du repos, et, en cas de revers, une excuse. [220] Quoi ! me dira-t-on, as-tu sur les autres une telle supériorité de force et d’audace, que seul tu suffises à tout ? Je ne dis pas cela ; mais je le voyais si grand, le péril