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climat, dans une atmosphère, qui sont le secret apanage de l’auteur des Fleurs du Mal.

Car il avait, le rare poète, un sens tellement affiné de la vie intime du vers que, sans briser les moules reçus de ses devanciers, il a renouvelé pourtant ce délicat instrument.

Le vers de Baudelaire se distingue aussitôt. Il est charnu, musclé, sanguin. Il a sa propre vie, parfois indépendante du sens qu’il contient. Les mots y sont liés entre eux par des liens si nombreux et si forts qu’on n’en peut détacher un seul sans blesser tous les autres. Et, dans les beaux passages, l’image n’est jamais une parure, mais l’ordre intime et nécessaire, quelque chose comme l’exhalaison du souffle vital. Car ce vers est un organisme, fruit d’une lente gestation et venu au jour par les voies mystérieuses où filtre aussi la pensée…

La pensée ! Qui de nous n’a observé parfois son travail obscur ? Parfois l’image, son interprète, nous apparaît en plein rayonnement. On croit la saisir. Et voici qu’elle disparaît, comme un éclair absorbé par la nuit. L’ombre revient plus épaisse. Mais l’image est-elle définitivement évanouie ? Non. Invisible, elle poursuit en nous son travail. Elle pousse, elle grandit et, par là, elle s’achemine de nouveau vers le jour.