Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, II.djvu/102

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ques personnes : qu’un homme puissant les protège, fût-il d’ailleurs très peu édifiant dans sa vie et dans ses discours, n’ayez pas peur que les jansénistes lui en fassent aucun reproche ; ils espéreront de son salut ; ils le loueront même, si l’occasion s’en présente. Que d’éloges n’ont-ils pas donnés à l’archevêque de Reims, Le Tellier, très honnête homme sans doute, de très bonnes mœurs, et ennemi déclaré des Jésuites, mais dont la conduite, comme évêque, et surtout les propos, n’étaient rien moins qu’irréprochables ? Au contraire, qu’un prélat respectable par ses vertus et par sa piété les interdise ; qu’un philosophe recommandable par ses mœurs les tourne en ridicule, ils jetteraient volontiers dans le même feu l’évêque et le philosophe : sur ce point seul les Jésuites leur ressemblent, avec cette différence que les jansénistes ne sont tolérants que pour leurs amis, déclarés ou secrets, et que les Jésuites le sont pour tous ceux qui n’attaquent pas la société.

Je crois donc, pour le dire en passant, m’être exprimé avec la vérité la plus exacte, lorsque j’ai dit, dans un endroit de mon ouvrage, que les Jésuites sont par système et par état intolérants pour leurs adversaires, et dans un autre, qu’ils sont accommodants, pourvu qu’on ne se déclare pas leur ennemi. Les jansénistes m’ont reproché, je ne sais pourquoi, de me contredire dans ces deux passages : il est vrai qu’ils ont eu soin, en citant mes paroles, de retrancher les mots que je viens de mettre en italique, et qui ôtent jusqu’à l’apparence même de la contradiction ; c’est avec cette bonne foi qu’ils en usent dans leurs critiques. Je ne prendrais pas la peine, monsieur, de relever cette bagatelle, s’ils ne l’avaient fait sonner bien haut, comme un de leurs arguments les plus victorieux contre moi, et si cet exemple ne servait à faire voir qu’ils savent employer au besoin, pour décrier leurs adversaires, ces restrictions mentales qu’ils reprochent tant aux Jésuites. Ce n’est pas la première fois qu’ils ont eu recours à cette ressource[1].

À travers toutes les injures ennuyeuses qu’ils ont accumulées contre moi, une seule chose m’a paru plaisante ; c’est qu’ils croient m’avoir offensé ; car ils finissent par me demander pardon, en s’excusant de leur amertume sur l’excès du zèle qui les

  1. Mes jansénistes ne sont pas plus exacts dans les faits qu’ils rapportent que dans leurs raisonnements et leurs citations. L’un d’eux, par exemple, assure que l’ouvrage sur la Destruction des Jésuites a été envoyé de la part de l’auteur au père Frisi, barnabite italien, et très habile géomètre. Rien n’est plus faux, et le père Frisi est prêt à l’attester. Encore une fois, on ne relève ces bagatelles, très futiles en elles-mêmes, que pour montrer l’exactitude scrupuleuse, en tout genre, de ces hommes de bien ; car c’est ainsi qu’ils se qualifient entre eux, c’est l’épithète par laquelle ils se désignent.