Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, II.djvu/103

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dévore. Il me sera bien facile de mettre sur ce sujet leur conscience en repos ; je n’ai fait que rire de toutes ces injures ; je suis fâché que le public ne les ait pas connues pour en rire aussi ; je leur promets enfin de rire encore, toutes les fois qu’il leur plaira de réitérer ; toutes les fois, par exemple, qu’ils me qualifieront, comme ils font, d’impudent matérialiste, pour avoir prétendu que la fabrique des étoffes, qui est à la vérité une chose très matérielle, a été plus utile au genre humain que leurs querelles théologiques, qui ne sont ni esprit, ni matière, ni rien dont un être raisonnable puisse se former l’idée. Je dirai plus, dussé-je irriter de nouveau mes redoutables adversaires ; c’est que parmi toutes les impertinences scolastiques, qui depuis la naissance du christianisme ont troublé l’Église et l’État, la querelle du jansénisme me paraît tenir le premier rang par sa futilité. Permettez-moi, monsieur, une réflexion bien naturelle à ce sujet. Que les querelles de Luther et de Calvin aient bouleversé l’Europe, cela est sans doute aussi triste qu’humiliant pour l’espèce humaine ; mais du moins ces querelles avaient un objet réel et sensible ; Luther et Calvin disaient aux peuples : Vous allez à la messe, hé bien, nous vous en dispensons ; vous invoquez les Saints, il ne faut s’adresser qu’à Dieu ; vous avez des images dans vos temples ; ce sont des restes d’idolâtrie qu’il faut briser ; vous avez des évêques, des prêtres et des moines qui vous coûtent beaucoup ; il faut vous défaire de vos évêques et de vos moines, et avoir des prêtres qui ne vous coûtent rien ou peu de chose. On convient que toute cette doctrine est impie ; mais enfin elle s’entend, et les peuples qui ont eu la sottise de s’égorger pour de telles disputes, savaient au moins et pouvaient dire pourquoi ils s’égorgeaient. Mais prenez, monsieur, un janséniste et un moliniste dans votre cabinet ; priez-les de vous expliquer bien nettement le sujet qui les divise, et que vous croiriez être bien important, puisqu’il a produit depuis plus d’un siècle tant de haines, de fureurs et de persécutions ; vous serez bien étonné de leur embarras réciproque. Vous verrez qu’ils ne pourront même dire de quoi ils disputent, ou qu’ils ne pourront vous le faire comprendre que pour se faire moquer d’eux : vous verrez qu’ils s’accusent réciproquement d’erreur, que chacun se défend de soutenir l’erreur que son adversaire lui impute, et qu’ils agitent à ce sujet, dans un jargon inintelligible, les questions les plus futiles et les plus creuses : vous verrez qu’ils conviennent tous deux, sans trop savoir pourquoi, mais enfin ils en conviennent, que les propositions attribuées à Jansénius sont hérétiques, et qu’ils ne différent que sur la question, qui ne fait rien à personne, de savoir si Jansénius a