Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, II.djvu/118

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qu’ils nous y laissent vivre. Nous avons déjà sévi contre le fanatisme ridicule et scandaleux qu’ils cherchaient à répandre par leurs convulsions. Que ne sévissons-nous aussi contre les intrigues sourdes qu’ils font jouer pour exciter du trouble ? Que ne sévissons-nous contre l’acharnement avec lequel ils violent sans cesse la loi du silence, en disant toujours qu’il faut se taire ? Que ne sévissons-nous, surtout, contre ce gazetier obscur qui déchire impunément ce qu’il y a de plus respectable dans l’Église ? C’est à nous sans doute à réprimer les évêques qui abusent de leur autorité et qui en passent les bornes, mais c’est à nous en même temps à leur faire rendre les égards qui leur sont dus, et à ne pas souffrir qu’un vil écrivain les insulte. Je sais qu’il nous appelle pères de la patrie ; mais le vrai moyen de l’être est de réprimer les enfants qui la déchirent : songeons à mériter ce titre sans nous embarrasser qu’il nous le donne ; et montrons-lui que nous faisons aussi peu de cas de ses satires que de ses éloges. Tel est, messieurs, le dernier service que la nation désire de nous, et qu’elle en espère ; qu’attendons-nous pour consommer notre ouvrage, et pour faire cesser enfin cette odieuse guerre théologique, qui rend notre patrie la fable de l’Europe ?

Voilà, monsieur, il n’est pas possible d’en douter, le coup que les plus éclairés d’entre nos magistrats préparent à la secte jansénienne ; voilà le coup qu’elle aurait déjà reçu de nos parlements, s’ils avaient cru que cette secte voulût succéder au crédit et aux intrigues des Jésuites ; elle n’a donc d’autre moyen de se garantir du sort qui la menace, que de se tenir dans le silence et de rentrer dans le néant, d’où elle n’aurait jamais dû sortir.

Je suis, etc.


30 mars 1766.

P. S. Il vient, monsieur, de me tomber entre les mains un gros et violent ouvrage, récemment écrit contre les parlements, par un jésuite à qui vraisemblablement la faim et la misère ont donné la triste maladie qu’on appelle rage. Je le plains très sincèrement, car il a l’air bien malheureux ; on le croirait sur la roue, aux cris qu’il pousse et aux invectives qu’il exhale ; ce serait le cas de lui appliquer le mot si connu d’un passant à un roué qui blasphémait ; mais il ne faut jamais se moquer de ceux qui souffrent, quelques méchants qu’ils soient. Ce jésuite forcené a fait l’honneur à mon ouvrage d’en dire deux mots ; il n’y répond que par des injures atroces contre l’écrivain auquel il lui plaît de l’attribuer ; il assure à cette occasion, ce qui est d’une