Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, II.djvu/121

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tance, je dis même sans murmure et sans réplique. Ne doit-il pas être persuadé, d’après ce que l’Écriture lui enseigne, que la puissance des rois vient de Dieu ? Et si Dieu lui disait, partez, se révolterait-il au lieu d’obéir ? se plaindrait-il même, et lai demanderait-il ses raisons ?

IV. La défense faite par le roi d’Espagne à ses sujets de parler ou d’écrire pour ou contre les Jésuites, sous peine de lèse-majesté, ne saurait être regardée comme un pur acte de despotisme de la part d’un roi si sage et si juste ; cette défense si rigoureuse prouve donc seulement à quel point on appréhende d’échauffer dans ce royaume les partisans des Jésuites, non seulement en permettant aux amis de la société de réclamer en sa faveur, mais en permettant à ses ennemis même de dire librement ce qu’ils pensent d’elle. Ainsi les mânes même de cette compagnie épouvantent encore lorsqu’elle n’est plus. Quel funeste colosse que celui dont l’ombre seule cause tant de frayeur ! qu’il était nécessaire de le renverser !

V. Peut-être néanmoins cette terrible opinion qu’on a des Jésuites, cette crainte excessive qu’on leur témoigne, leur fait-elle plus d’honneur qu’ils ne méritent ; la manière obscure, paisible, et presque humiliante dont ils ont péri en France, fait voir que leur prétendu crédit en ce royaume avait plus d’apparence que de réalité ; il pourrait bien en être de même en Espagne ; mais, on le répète, des prêtres, des moines sont encore trop puissants, même avec la simple apparence du crédit et du pouvoir.

VI. Comme ce ne sont ni les princes, ni les ministres, ni les magistrats, mais la loi qui punit les crimes, et que la loi, en punissant un citoyen ou un corps, dit et doit dire pourquoi elle le punit, il est hors de doute que si le roi d’Espagne n’a pas encore fait connaître le crime des Jésuites, son silence en ce moment est fondé sur de bonnes raisons, et qu’il ne tiendra pas toujours renfermés dans son cœur les motifs d’une proscription si subite et si terrible ; ce prince, on ose le dire sans crainte de l’offenser, doit à lui-même, à ses sujets, aux autres princes et États de l’Europe, à toutes les nations enfin, de dévoiler l’iniquité toute entière, et de prévenir par là, autant qu’il est en lui, le mal que les Jésuites pourraient faire ailleurs, après en avoir tant fait en Espagne. Il le doit d’autant plus, qu’il annonce, par son édit, que si la société entreprend de se justifier, tous les Jésuites espagnols seront privés de la pension qu’il leur accorde : pour être en droit de lier la langue à un accusé, il faut être bien sûr d’avoir en main de quoi le confondre ; encore dans ce cas même est-il rare de lui fermer la bouche. Souhaitons donc que le roi d’Espagne se trouve bientôt en état de ne plus rien avoir à