Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, II.djvu/124

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lui de l’être, vont se trouver sans asile, sans pain, sans ressource. Vous êtes bien bon, lui dit quelqu’un, de vous attendrir sur des hommes qui vous verraient brûler en riant, et qui mettraient eux-mêmes le feu au bûcher. Cela se peut, répondit simplement le philosophe ; mais ces Jésuites sont des hommes, ils ne m’ont encore brûlé que dans l’intention, et je ne suis pas janséniste. En effet, monsieur, les magistrats même qui ont chassé les Jésuites de France, voient avec compassion la destinée de la plupart d’entre eux ; je n’ai trouvé jusqu’à présent qu’une centaine de prêtres et deux ou trois femmes qui fussent insensibles à leur malheur ; et je vous laisse à deviner de quel parti sont ces femmes et ces prêtres. Il est vrai que quand on voit d’un côté les Jésuites d’Espagne réduits à la situation la plus triste, et de l’autre les Jésuites de France abusant de la bonté qu’on a de les y souffrir pour cabaler et pour intriguer comme ils font, on ne sait à quel sentiment se livrer à l’égard des individus de cette société ; on ne voudrait pas les voir malheureux, mais on voudrait les voir loin de soi. Les jansénistes les voudraient en enfer, et les philosophes aux Champs-Élysées.

XII. Que deviendront les Jésuites de Naples et ceux de Parme ? est-ce un projet arrêté entre les princes de la maison de Bourbon, de ne plus souffrir de Jésuites dans les États de leur dépendance ? Je m’arrête, car j’entends déjà qu’on me répond : Vous lisez de trop loin dans les secrets des dieux. On dit que l’expulsion de ces pères trouvera peu de difficulté dans les États de Parme ; ces États sont petits, le gouvernement y est éclairé, et les Jésuites bien connus ; mais on assure qu’il ne sera pas aussi aisé de les chasser de Naples, où ils ont à leurs ordres cinquante mille coquins appelés lazaroni, toujours prêts à se révolter au premier signal : cette canaille avait pour chef, il y a quelques années, un fameux Jésuite nommé le père Peppe, qui présentait à la reine de Naples sa main à baiser, et lui donnait de l’autre sa bénédiction ; c’est le même qui, en 1757, prêchait dans les marchés de Naples contre le roi de Prusse, et le comparait à l’antechrist ; ce Jésuite, dans une sédition, eut l’audace, à ce qu’on prétend, d’offrir au roi de Naples, aujourd’hui roi d’Espagne, quarante mille hommes dont il se vantait de pouvoir disposer. Si le fait est vrai, la réponse naturelle à cette offre obligeante était de faire pendre le moine ; et je crois que s’il ne le fut pas, c’est qu’on n’avait pas cent mille hommes à opposer aux quarante mille. Ce père Peppe est mort il y a quelques années, riche d’environ un million, tant en argent qu’en effets, qu’il avait amassé pour la plus grande gloire de Dieu, et à la très grande édification de l’Église. Le poste était trop bon pour que les Jésuites