Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, II.djvu/134

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quelques faiblesses. Le protecteur de Myrrame et de l’Amour tyrannique, qui persécutait et récompensait tout à la fois Corneille, non-seulement ne fit rien pour Grotius, mais l’oblligea à force de dégoûts à se retirer ; Gustave Adolphe l’accueillit, Oxenstiern le renvoya en France avec le titre d’ambassadeur, et Christine bientôt après lui confirma ce titre ; elle trouvait par là le moyen de récompenser d’une manière digne d’elle un homme d’un mérite rare, de mortifier les Hollandais qu’elle n’aimait pas (en 1635), et de piquer le cardinal dont elle croyait avoir à se plaindre (en 1645). Ainsi Grotius, que son génie et son naturel rendaient incapable de toute espèce de souplesse, et que son titre en dispensait, jouit du plaisir de traiter en égal un ministre qui l’avait méprisé. C’est un honneur pour Christine que d’avoir pensé de Grotius comme la postérité ; sans doute ce suffrage de plus n’était pas nécessaire à la réputation d’un si grand homme ; mais il faut savoir gré aux princes d’être justes, et même de connaître avec le public les hommes illustres et vertueux. Quand Christine n’aurait témoigné de considération à Grotius que par vanité, on doit lui tenir compte de cette vanité même ; si c’est une faiblesse dans les rois comme dans les autres hommes, c’est du moins une faiblesse qui peut les mener aux grandes choses.

Après la victoire de Norlingue, en 1646, où le prince de Condé et Turenne, à la tête des troupes de France, vengèrent l’honneur des Suédois, qui avaient été défaits quelques années auparavant au même lieu, Christine écrivit au prince de Condé une lettre de remercîment. Quelques historiens prétendent que ce prince avoua dans sa réponse qu’il devait une grande partie du succès au vicomte de Turenne. Si le fait est vrai, le prince de Condé aurait mis le comble à sa gloire en l’avouant ; mais il n’en paraît dans sa réponse aucun vestige.

On ne sera point surpris que Christine, aussi passionnée pour les lettres et pour le repos, que son père l’était pour la guerre, ait hâté, en 1647, la conclusion de la paix de Westphalie. L’animosité et la jalousie des ministres y mettaient un obstacle encore plus grand que le nombre prodigieux d’intérêts qu’il y avait à régler. Les plénipotentiaires de Suède, aussi divisés entre eux que ceux de France, étaient le comte Oxenstiern, fils du grand chancelier de Suède, et Alder Salvius, chancelier de la cour. Le premier se conduisait en tout par les conseils de son père, qui déplaisait à Christine, parce qu’il lui était trop nécessaire, et parce qu’il cherchait d’ailleurs, contre le désir de la reine, à éloigner la conclusion de la paix. Il croyait trouver dans la continuation de la guerre la gloire de la Suède, l’affaiblissement de la France qu’il craignait comme une amie dangereuse, et l’a-