Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, II.djvu/139

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Christine eut bientôt dans ses États des affaires plus importantes que l’étude du grec, des idées innées et des tourbillons (en 1651). La résolution qu’elle avait prise de ne se point marier, alarmait des peuples qui craignaient de manquer de maître. L’épuisement des finances dérangées par ses profusions causait un mécontentement général ; ce fut alors qu’elle pensa, pour la première fois, à descendre du trône. Elle se rendit en plein sénat, déclara le dessein qu’elle avait formé, et le fit savoir par lettres au prince Charles Gustave. Celui-ci, assez habile pour dissimuler, et craignant peut-être que la reine ne fît sur son successeur une tentative dangereuse, rejeta les offres de Christine, pria Dieu et la Suède de la conserver long-temps, et se para avec beaucoup d’ostentation de sentimens qu’il n’avait guère. La solitude où ce prince affectait de vivre après avoir accepté la succession, la précaution qu’il avait prise de s’éloigner de la cour, enfin l’extrême circonspection qu’il mettait dans tous ses discours et dans toutes ses démarches, étaient pour les moins clairvoyans une preuve du désir qu’il avait de parvenir au trône. Il se flattait peut-être que le sénat, acceptant la démission de Christine, lui procurerait l’avantage de régner en lui laissant l’honneur de la modestie. Mais il fut trompé dans ses espérances. Soit que Christine eût simplement voulu calmer des sujets mécontens, et s’affermir sur le trône par leur suffrage, soit qu’elle vît son abdication jugée moins favorablement par les étrangers qu’elle ne s’y attendait, soit enfin qu’après avoir voulu quitter le trôné par vanité, elle voulût le conserver par caprice, elle se rendit ou fit semblant de se rendre aux sollicitations de son successeur et de ses sujets.

Christine écrivit l’année suivante (1652), à M. Godeau, évêque de Vence, dont nous avons tant de vers et si peu de poésies. Ce prélat l’avait louée par lettres ; la reine de Suède lui dit dans sa réponse que les honnêtes gens de France sont si accoutumés à louer, qu’elle n’ose se plaindre d’une coutume si générale, et qu’elle lui en est même obligée. Il paraît que le même prélat avait marqué dans sa lettre quelque envie de convertir la reine. En remerciant l’évêque de ses bonnes intentions, elle lui souhaite le bonheur de penser comme elle, et paraît surprise qu’on puisse être si éclairé et n’être pas luthérien. Elle se montra aussi peu catholique dans une lettre qu’elle écrivit vers le même temps au prince Frédéric de Hesse, pour le détourner d’embrasser la religion romaine. Ces deux lettres devraient surprendre de la part d’une princesse qui se fit catholique un an après, si l’on ne savait combien peu de temps il faut aux hommes, et surtout aux princes, pour changer dans leurs opinions comme dans leurs