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qu’ils sont parvenus, par la confiance et la considération que Louis XIV leur accordait, à attirer toute la cour dans leur collège de Clermont. On se souvient encore de la marque de flatterie qu’ils donnèrent au monarque, en ôtant à ce collège le nom qu’il portait de la société de Jésus, pour l’appeler collège de Louis-le-Grand ; et personne n’ignore le distique latin qui fut fait à ce sujet, et dans lequel on reprochait à la société de ne point reconnaître d’autre Dieu que le Roi[1].

Ainsi on les représentait à la fois comme idolâtres du despotisme pour les rendre vils et comme prédicateurs du régicide pour les rendre odieux ; ces deux accusations pouvaient paraître un peu contradictoires, mais il ne s’agissait pas de dire l’exacte vérité, il s’agissait de dire des Jésuites le plus de mal qu’il était possible.

Enfin, ce qui a mis le comble à la puissance et à la gloire de la société, c’est sous Louis XIV que les Jésuites sont parvenus à détruire ou du moins à opprimer en France les protestants et les jansénistes, leurs ennemis éternels ; les protestants, en contribuant à la révocation de l’édit de Nantes, cette source de dépopulation et de malheur pour le royaume ; les jansénistes, en les privant des dignités ecclésiastiques, en armant les évêques contre eux, en les forçant d’aller prêcher et écrire dans les pays étrangers, où même ces infortunés trouvaient encore la persécution.

Ce n’est pas que sous ce règne même où les Jésuites furent si puissants et si redoutables, on ne leur ait porté de terribles coups, et plus terribles peut-être que tous ceux qu’ils avaient essuyés jusqu’alors. Les plaidoyers de Pasquier et d’Arnauld n’étaient guère que des satires ampoulées et de mauvais goût ; les Provinciales leur firent une plaie beaucoup plus funeste ; ce chef-d’œuvre de plaisanterie et d’éloquence divertit et indigna toute l’Europe à leurs dépens. En vain ils répondirent que la plupart des théologiens et des moines avaient enseigné comme eux la doctrine scandaleuse qu’on leur reprochait ; leurs réponses, mal écrites et pleines de fiel, n’étaient point lues, et tout le monde

  1. On mettra ici ces vers en faveur des étrangers, qui peuvent ne les pas connaître :

    Sustulit hinc Jesum, posuitque insignia regis,
    Impia gens ; alium non habet illa Deum.

    Voici la traduction qu’on peut en donner :

    Pour faire place au nom du roi,
    La croix de ces lieux est bannie ;
    Arrête, passant, et connais
    Le Dieu de cette race impie.