Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, II.djvu/82

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I. Le roi, ou les magistrats qui le représentent, ne sont-ils pas juges compétents, pour décider si un institut religieux est conforme ou contraire aux lois de l’État ?

II. Est-il nécessaire que la puissance spirituelle concoure avec la temporelle pour cette décision purement civile ?

III. Les sujets du roi, qui se sont soumis à cet institut religieux, ne s’y sont-ils pas soumis dans la supposition, dans la persuasion même, que le roi et l’État l’approuvaient ?

IV. Si le roi ou les magistrats qui le représentent, ayant d’abord permis ou toléré l’institut, viennent à juger ensuite qu’il ne peut s’accorder avec les lois de l’État, les sujets du roi qui s’étaient soumis à cet institut, et qui prendraient le parti d’y renoncer, blesseraient-ils en cela leur conscience ?

V. La renonciation à l’institut emporte-t-elle la renonciation au vœu de chasteté et à celui de pauvreté qu’ils ont faits, et que ni le roi ni les magistrats ne les empêchent d’observer ?

VI. Est-ce entreprendre sur les droits de la puissance spirituelle, de déclarer que leur vœu d’obéissance, envisagé du seul côté civil, ne saurait s’accorder avec l’obéissance qu’ils ont vouée en naissant à leur légitime souverain ; obéissance en vertu de laquelle ils vivent dans les États de ce souverain sous la protection des lois ?

VII. Si le vœu qu’ils ont fait comme sujet, est déclaré contraire à celui qu’ils ont fait comme religieux, ce second vœu n’est-il pas nul de lui-même, étant détruit par un vœu plus ancien et plus sacré ?

VIII. S’ils se croient, nonobstant cette considération, engagés par leur vœu d’obéissance ; s’ils préfèrent l’état de religieux à celui de sujets, le prince, ou les magistrats qui le représentent, ne peuvent-ils pas, ne doivent-ils pas même les déclarer déchus de leurs droits de citoyens, et les obliger à quitter l’État dont ils ne veulent pas être membres ?

IX. Les religieux profès qui renonceront à l’institut, et qui sont liés d’ailleurs par leur vœu de pauvreté, et par la renonciation à leurs biens, ne sont-ils pas en droit d’exiger que l’État se charge de leur subsistance ?

X. Les religieux profès qui, en refusant de renoncer à leur vœu d’obéissance, recevraient ou de la cour, ou de leurs amis, nonobstant leur vœu de pauvreté, des pensions beaucoup plus fortes qu’ils ne leur est nécessaire pour subsister, ne prouveraient-ils pas par cette conduite qu’ils étaient beaucoup moins attachés à leurs vœux qu’à leur général ; qu’ils refusaient bien plus par orgueil que par religion de renoncer à la société ; qu’ils étaient en un mot plus jésuites que chrétiens.