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LE ROI

Dans les rues, au Palais, dans la galerie des Merciers autrefois grouillante l’herbe croissait, un zonzon de mouches malsaines succédait à l’activité artisane, les boutiques puaient la mort. Sur les ponts, aucune de ces nombreuses charrettes qui menaient à la cité la vie des campagnes, seul le carrosse du Légat, silencieux. Plus de blés dans les ports de Grève et d’École, rien qu’un dernier chat famélique qu’un dernier fantôme hagard poursuivait. Une femme mangea ses enfants morts et creva ensuite d’horreur. Avec les os pilés du cimetière des Innocents quelques malheureux se nourrirent ; ce fut, dit le peuple, « le pain de madame de Montpensier ». D’effrayants paquets humains gisaient dans tous les ruisseaux ; il périssait par jour cent, deux cents, parfois trois cents hommes, et ceux qui ensépulturaient se faisaient au bout de la route enterrer eux-mêmes ; trente mille succombèrent de faim.

Le roi regardait ce supplice.

Pour fatiguer sa douleur, il montait à cheval, tournait autour de la ville et séchait ses larmes dans le vent. Il n’osait regarder à gauche vers les lueurs de la cité, vers le drame. Cent fois il eut l’envie de lever le siège, de licencier ses troupes, de jeter son épée par-dessus la haie et de rentrer à Pau, le bâton en main, comme le garçon de l’Evangile au rêve brisé. D’autres fois, se sentant utile au bien de France, il lançait son cheval et frappait une porte dans la nuit.

— Au seuil du règne, hurlait-il, vais-je suc-