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LE ROI

à treize il en eut huit. Gros buveur a grosse bouteille de glougloutantes goulées, parfois, lui laictaient le larynx et le bouchaient, il éternuait en chat et lançait aux dames une bruine blanche ; on riait. Le prince de Viane, rebaptisé duc de Beaumont, marcha tout à fait à quinze mois. On le mit d’un palais dans d’autres, les champs ; il y but un lait nouveau, celui des cieux ; noircit, grandit, se corda de nerfs comme un isard. Cependant, il lampait toujours à ces vases de chair liquide, tétait encore, mais trépignant, debout, les mains brusques. À vingt mois, il frappait la « Terre » comme un soldat, et la nourrice, heureuse, recevait les coups comme des baisers. Le cheveu sur l’œil, fin, dur, la narine aiguë, il galopait entre les chevaux, se pendait aux éperons des capitaines et roulait les chiens. On l’adorait. Il avait des mines, choyait de caresses les joues râpeuses des paysans, et entrait le béret levé dans les échoppes de Pau. — À deux ans, son grand-père le devina bon pour la vie, le retira du sein, l’emporta en croupe et le conduisit à Jurançon. Vaste enfeuillement emperlé de bijoux vermeils : le vieux roi se pencha, saisit sans quitter la selle une poignée de grains, les broya, et enveloppant la vigne d’un long geste humide et amoureux :

— Plus de lait ! cria-t-il. Regarde, Henri, voilà celle qui sera maintenant ta nourrice !

Et les deux « hommes » s’embrassèrent.


Ce fut en ce temps-là, caressant son enfantelet