Page:D AnnunziRevue de Paris, 7è année, Tome 3, Mai-Juin 1900.djvu/30o - Le Feu.djvu/28

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qu’un esprit fier peut, sans s’amoindrir, communiquer avec la foule par les vertus sensuelles de la voix et du geste. En tout autre cas, son jeu serait de nature histrionique. Aussi, ai-je un repentir amer d’avoir accepté cette fonction d’ovateur décoratif et de pur agrément. Considérez, je vous prie. ce qu’il y a d’humiliant pour moi dans l’honneur qu’on me fait ; et considérez aussi l’inutilité de mon prochain effort. Tous ces gens-là, foule étrangère enlevée un soir à ses occupations médiocres ou à ses récréations favorites, viennent m’écouter avec la même curiosité vaine et stupide qui les porterait ù écouter un « virtuose » quelconque. Pour les femmes qui m’entendront, l’art que je mets à composer le nœud de ma cravate sera beaucoup plus appréciable que l’art avec lequel je coordonne mes périodes. Et, au fond, il est probable que l’unique effet de mon discours sera un battement de mains assourdi par les gants ou un bref murmure discret auquel je répondrai par une gracieuse inclination de tête. Ne vous semble-t-il pas que je vais atteindre le terme suprême de mon ambition ?

— Tu as tort, — dit Francesco de Lizo. — Tu devrais te féliciter d’avoir cette heureuse occasion d’imprimer durant quelques heures le rythme de l’art à la vie d’une cité oublieuse et .de nous faire entrevoir les splendeurs dont notre existence pourrait s’embellir par l’accord renouvelé de l’Art et de la Vie. Si l’homme qui éleva le Théâtre de Fête était là, il te louerait pour cette harmonie qu’il a prédite. Mais ce qu’il y a de plus admirable, c’est qu’en ton absence et à ton insu la fête semble avoir été préparée sous l’inspiration de ton génie. C’est la meilleure preuve qu’il est possible de restaurer et de répandre le goût, même au milieu de la barbarie présente. Ton influence est plus profonde aujourd’hui que tu ne le crois. La dame qui a voulu te glorifier, celle que tu nommes la Dogaresse, à chaque idée nouvelle qui lui venait à l’esprit se posait la question : « Cela plaira-t-il à Effrena ?… » Si tu savais combien de jeunes gens se posent aujourd’hui la même question, lorsqu’ils considèrent les aspects de leur vie intérieure !

— Et pour qui parleras-tu, sinon pour eux ? — dit Daniele Glàuro, lé fervent et stérile ascète de la Beauté, avec cette