Page:Dablon - Le Verger, 1943.djvu/125

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qu’elle fût, n’excluait ni le doute ni les soupçons ; de part et d’autre, on ne refusait pas d’écouter mais on ne savait pas toujours que répondre. En dernière analyse un bras glissé sous le bras du pèlerin et l’accompagnement sans paroles de l’ami. Jacques revoit la campagne de Vienne ; il n’y a que la nature, telle que Beethoven la regarde dans la Pastorale, pour suggérer un dialogue si fécond.

Un instant, Jacques assimila les thèmes à la récitation d’un poème ou à un grand album d’eau-fortes et de sanguines, à un film documentaire et féerique qui transformerait en images pour l’oreille les misères et les consolations de l’artiste : l’insatisfaction romantique, légèrement déclamatoire, mais si vite ramenée à la vérité, les soucis d’argent, les déceptions de l’amour, les cœurs ingrats, les trahisons, l’enlisement du silence, quand les oreilles du compositeur se fermèrent pour toujours au royaume des sons et au plus intime de l’isolement, comme une harmonie plus forte que les sons, la joie inépuisable et austère de l’œuvre à créer, la nature et Dieu. Les visions baignées d’une onde musicale transparente se détachaient une à une dans la conscience de Jacques.

Était-ce le roman de Beethoven que cette foule contemplait derrière ses yeux fermés ? Le sultan eût-il écouté si longtemps les récits de sa jeune épousée s’ils ne lui eussent parlé que d’elle-même ? Et comme pour répondre à la question du jeune homme, le violon confiait à qui le pouvait saisir le narré d’une souffrance imprécise que l’orchestre, indécis sur la marche à suivre, accompagnait d’une sympathie discrète. Tout à coup il se creusa comme une trouée lumineuse et les