Page:Dablon - Le Verger, 1943.djvu/126

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plans d’incompréhension se rapprochèrent ; ils ne se différenciaient plus que par une nuance d’éclairement sonore. L’âme, aux prises avec une tristesse qu’elle ne s’expliquait pas, avait enfin trouvé en elle-même la compagne de son angoisse et, à l’entretien qui s’engageait, elle ne renoncerait pas aisément. Elle s’y attardait ; on eût dit une douleur qui se serait dénoué son mystère. Jacques revoyait les montants d’automne, le soir, dérouler sur les grèves de l’île un lourd tissu lamé que les rocs noircis déchiraient. Chaque phrase prenait son exacte importance : ici un tourment qui frisait la désespérance, un cri, un sanglot, une torture qui espère se vaincre en se racontant, l’attente d’une réponse qui ne saurait décevoir. Le soliste chantait en homme que la vie a déçu, mais assez riche de lui-même et de l’univers pour triompher du dégoût ; la musique ramenait de bien loin, comme une victoire sur les souffrances stériles de l’égoïsme, le sourire émouvant de l’enfance reconquise.

La vie de Beethoven n’intéressait ici que les fureteurs de dictionnaire musical. L’un d’eux au sortir du concert interrogerait son voisin : « Qu’est-ce que cela veut dire ? » « Rien, mais rien, répondait le jeune homme, évidemment rien, rien autre chose que la vie telle que la voyait Beethoven. Grâce au Concerto en ré, des milliers d’hommes oublient, pour une heure, la vilenie de leurs semblables, la pénurie d’amitié, les chaînes aux mains et aux pieds et au cœur. »

Mais la musique n’est pas une panacée ni un dictame qui engourdisse les consciences saines. Jacques ne récusait le message personnel de Bee-