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LE VERGER

— J’ai un ami, Père, qui ne me parle qu’en paraboles, comme Platon…

— Quand j’étais gamin, nous nous levions parfois à la barre du jour, mon frère et moi, et nous descendions sur le quai de la Rivière-Ouelle pour pêcher l’éperlan. Mon frère comptait ses prises au panier ; moi, je faisais plusieurs choses à la fois ; je regardais l’Île aux Coudres sortir des brumes, Saint-Irénée s’éveiller dans les chauds rayons du soleil matinal, et surtout j’écoutais, j’écoutais monter la marée.

Il se redressa et, plantant ses yeux dans les yeux du jeune homme :

— Eh bien ! Jacques, Jésus-Christ entre dans la vie d’un homme au temps et lieu qu’il lui plaît. Tout n’est pas pour autant à recommencer. Au matin des équinoxes, le flot qui bat à grandes pulsations les falaises et les quais, n’afflue pas avant que l’aube ait balayé des dernières ombres les rives et les recoins des grèves ; mais c’est assez, et il n’est pas besoin de démanteler les caps et de pétrir la terre pour la remodeler. Dieu se sert de tout pour établir son règne ; et pour s’adapter à l’humble effort de l’homme, il attend avec patience l’exacte disposition des points d’incidence.

Jacques, satisfait pour une heure, quitte le Père Vincent, et reprend le cours à peine interrompu de ses réflexions ; il feuillette les lettres de Maurice. Réfugiés dans leur superbe, les trois amis ne peuvent plus tenir, force leur est de déchanter ; ils redescendent vers les hommes mais ils craignent de se souiller. « Il ne s’agit pas de toiser le monde avec mépris, répond Jacques à Maurice ; car de ce mépris, tout