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LE VERGER

caractère ; quelle maladresse dans ce style anonyme où perçait un manque de franchise !

Estelle noua ses longs bras plus serrés et effleura, de sa joue, la joue de Louise.

— Dis-le moi, je veux le savoir.

Louise dit dans un souffle :

— Je vais rencontrer Jacques.

— Il a des vacances ?

— Non, il a obtenu un congé, je ne sais pour quelle raison… Devine où ? À l’institut.

— Encore les livres ! Moi je ne voudrais lire que les livres qui me plaisent.

Louise essaya de sourire, mais elle y renonça en se voyant dans la glace.

— Tu me conteras cela, veux-tu ? Tu devrais être gaie, car enfin, tu as au moins un faible pour ce garçon… Il n’est pas rigolo. Je ne dis pas qu’il n’est pas aimable ; il est trop compliqué… Il est l’ami de Maurice et de Noël pourtant…

Louise n’écoutait plus. Elle posait de guingois sur ses cheveux une toque de même teinte que son tailleur, et ses yeux suivaient vaguement dans le miroir le jeu de ses doigts. Elle entr’ouvrit sa bourse, y jeta un coup d’œil, et mettant ses gants de chevreau, dit bonjour à Estelle distraitement.

Elle prit par la Grande-Allée et se dirigea vers la porte Saint-Louis. Elle avait choisi la gauche pour être seule. Le vent avait ridé le sable sur le trottoir et des filets d’eau striaient le ciment devenu sourd au claquement des talons. Louise, les yeux rivés à la chaîne de granit, se hâtait, et ses pensées couraient au-devant d’elle comme ce chemin qui glissait sous