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LE VERGER

cette respiration. Les souffles que le vent du sud déposait par andains sur les lits perdaient ce soir dans les ramures la limpidité cueillie au passage sur les eaux ; le jeune homme respirait l’âcre senteur collante du peuplier. Près de la tempe, André portait comme un étendard la cicatrice de leur dernière bataille.

Jacques avait passé son pyjama. À genoux sur la catalogne, les coudes fichés entre les draps fleurant le gros savon de l’île, Jacques marmonnait quelques avé. Pourquoi était-il allé chez les Angers ? À l’île, chaque soir ramenait la réunion des jeunes chez les parents de l’un d’entre eux. Les hypothèses des joueurs de bridge, les plaisanteries et les histoires des deux ou trois farceurs attitrés, le colportage des ragots, le retour sans rémission des soirées semblables et des visages vulgaires, tout ennuyait. Jamais début de vacances n’avait été aussi décevant.

Ce soir pourtant, Jacques s’était piété pour vaincre, comme sur le tennis ou l’hiver sur la patinoire. L’air emprunté, il s’était mêlé au groupe le plus tapageur. Peine perdue. Le vrai Jacques, le mécontent, l’avait rejoint et vaincu. Jacques était sorti sur la véranda et, les yeux sur la pointe Lévis et sur la ceinture lumineuse des Remparts, il s’était dépité comme un enfant qui ne veut pas pleurer. Il avait fui dans le raidillon qui descend au Verger, en fauchant du pied les épervières et les marguerites qu’une lumière blême, échappée à la frondaison, tirait par instants des jonchées de l’ombre.

Un organisme vigoureux expulsait à mesure de leur apparition les germes d’une lassitude prématurée. Consciemment Jacques ne redoutait rien tant que