Page:Dallet - Histoire de l'Église de Corée, volume 2.djvu/275

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une autre, sillonnaient l’espace en tous sens, avec une vitesse que l’on voit rarement en Chine.

« La première ville que nous rencontrâmes fut Ghirin, chef-lieu de la province qui porte le même nom, et résidence d’un hiang-kiun, ou général d’armée. Elle est assise sur la rive orientale du Soungari, dont le froid de février enchaînait encore le cours. Une chaîne de montagnes, courant de l’occident à l’orient, et dont les cimes s’effaçaient alors dans un léger nuage de vapeur, l’abrite contre le vent glacial du nord. Comme presque toutes les villes chinoises, Ghirin n’a rien de remarquable ; c’est un amas irrégulier de chaumières, bâties en briques ou en terre, couvertes en paille, n’ayant que le rez-de-chaussée. La fumée qui s’élevait de ses toits montait perpendiculaire, et se répandant ensuite dans l’atmosphère à peu de hauteur, formait comme un manteau immense de couleur bleuâtre, qui enveloppait toute la ville. Mandchoux et Chinois l’habitent conjointement ; mais les derniers sont beaucoup plus nombreux. Les uns et les autres, m’a-t-on dit, forment une population de six cent mille âmes ; mais comme le recensement est inconnu dans ce pays, et que la première qualité d’un récit chinois est l’exagération, je pense qu’il faut en retrancher les trois quarts pour avoir le chiffre réel de ses habitants.

« Ainsi que dans les villes méridionales, les rues sont très-animées. Le commerce y est florissant ; c’est un entrepôt de fourrures d’animaux de mille espèces, de tissus de coton, de soieries, de fleurs artificielles dont les femmes de toutes classes ornent leurs têtes, et de bois de construction qu’on tire des forêts impériales.

« L’abord de ces forêts est peu éloigné de Ghirin : nous les apercevions à l’horizon, élevant leurs grandes masses noires au-dessus de l’éclatante blancheur de la neige. Elles sont interposées entre l’empire céleste et la Corée comme une vaste barrière, pour empêcher, ce semble, toute communication entre les deux peuples, et maintenir cette division haineuse, qui existe depuis que les Coréens ont été refoulés dans la péninsule. De l’est à l’ouest, elles occupent une espace de plus de soixante lieues ; je ne sais quelle est leur étendue du nord au midi. S’il nous avait été possible de les traverser en cet endroit, et de pousser en droite ligne vers la Corée, nous aurions abrégé notre chemin de moitié ; mais elles nous opposaient un rempart impénétrable. Nous dûmes faire un long circuit, et aller vers Ningoustra chercher une route frayée.