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la ville, nous voyons venir à nous un inconnu qui avait aperçu notre signalement. Je lui parle chinois, il ne me comprend point. « Comment t’appelles-tu ? » lui dis-je alors en coréen. — « Han est mon nom, » me répondit-il. — « Es-tu disciple de Jésus ? — Je le suis. » Nous y voici, pensai-je.

« Le néophyte nous conduisit auprès de ses compagnons. Ils étaient venus quatre, et il y avait plus d’un mois qu’ils attendaient notre arrivée. Nous ne pûmes pas avoir ensemble un long entretien : les Chinois et les Coréens nous environnaient de toutes parts. Ces pauvres chrétiens paraissaient abattus par la tristesse. L’air mystérieux qui régnait dans l’échange de nos paroles, intriguait les païens. Quand ceux-ci semblaient moins attentifs à nos discours, nous glissions quelques mots sur nos affaires religieuses, et puis tout de suite nous revenions au marché de nos animaux. « Combien en veux-tu ? — Quatre-vingts ligatures. — C’est trop cher. Tiens, prends ces cinquante ligatures et livre-moi ta bête. — Impossible, tu ne l’auras pas à moins. » C’est ainsi que nous donnions le change à ceux qui nous observaient.

« J’appris de ces chrétiens que depuis la persécution l’Église coréenne était assez tranquille ; qu’un grand nombre de fidèles s’étaient retirés dans les provinces méridionales, comme moins exposées aux coups de la tempête ; que plusieurs familles s’étaient récemment converties à la foi ; qu’il serait difficile aux néophytes de conserver longtemps un missionnaire européen dans le pays, mais que se confiant en la bonté divine, ils feraient tout ce qui dépendrait d’eux pour le recevoir ; que Pien-men serait moins dangereux que Houng-tchoung pour son introduction, par la raison qu’en entrant par le nord, outre la difficulté de passer la frontière, il lui faudrait encore traverser tout le royaume.

« Notre entretien étant fini, nous nous prîmes les mains en signe d’adieu. Eux sanglotaient, de grosses larmes coulaient sur leurs joues ; pour nous, nous regagnâmes la ville, et nous disparûmes dans la foule.

« Le marché de Kien-wen nous offrit un spectacle curieux. Les vendeurs n’ont pas le droit d’étaler leurs marchandises dès qu’ils sont arrivés ; il faut qu’ils attendent le signal. Aussitôt que le soleil est parvenu au milieu de sa course, on hisse un pavillon, on bat du tam-tam : à l’instant la foule immense, compacte, se rue sur la place publique ; Coréens, Chinois, Tartares, tout est mêlé ; chacun parle sa langue ; on crie à fendre la tête ; et tel est le mugissement de ce flot populaire, que les échos des montagnes voisines répètent ces clameurs discordantes.