Page:Dallet - Histoire de l'Église de Corée, volume 1.djvu/137

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étranges ! — Mais expliquez-vous donc, pourquoi nous tenir en suspens ? — Moi, vous tenir en suspens, jamais. Je viens de faire une expérience telle que je ne désire certes plus, ni à moi ni aux autres, d’être suspendu en l’air. » Le ministre, de plus en plus intrigué et impatient de connaître une histoire qui semblait devoir être curieuse, dit d’un air piqué : « Si votre histoire est étrange, il faut avouer que vous l’êtes encore davantage vous-même ; encore une fois, expliquez-vous sans détour. — Puisque Votre Excellence le commande je vais tout révéler ; mais c’est si extraordinaire qu’il n’a fallu rien moins qu’un ordre de Votre Excellence pour me décider à faire connaître une histoire à laquelle nul ne voudra ajouter foi.

« Il y a une vingtaine de jours, voulant me délivrer de l’ennui qui me poursuivait, je songeai à me distraire en faisant une partie de pêche. Je pris donc ma ligne, et fus me poster sur le bord d’un grand étang aux environs de la capitale. À peine ma ligne avait-elle touché l’eau, que des milliers de cigognes vinrent s’abattre tout près de moi. Pensant de suite que quelqu’un de ces oiseaux pourrait bien avoir envie de mordre à l’hameçon, et prévoyant que mon poignet ne serait pas assez robuste pour comprimer ses ébats, je me hâtai de saisir l’extrémité de la longue corde de ma ligne, et je la fixai solidement autour de mes reins. Cette précaution était à peine prise, qu’une grosse cigogne plus vorace que les autres se jeta sur l’appât, et le dévora en un clin d’œil. Envie me prit de laisser la captive avaler paisiblement l’hameçon ; je ne bougeai pas, et ma cigogne de son côté resta calme et immobile comme quelqu’un qui médite un mauvais coup. Mais ces volatiles ont l’estomac tellement chaud, et la digestion tellement rapide, que mon hameçon, une minute et demie après, reparut à l’autre bout. Pendant que je restais stupéfait de cette merveille, une autre cigogne se jette sur l’appât, l’avale et le digère à son tour. Une troisième la suit ; bref : cinq, vingt, cinquante cigognes viennent successivement s’enfiler dans ma ligne. Toutes y auraient passé jusqu’à la dernière, mais ne pouvant plus tenir à un si étrange spectacle, je partis d’un éclat de rire, et je remuai. Soudain, l’escadron effrayé prend son vol, et comme j’étais lié par les reins, je suis emporté avec lui dans les airs. Plus nous allions et plus les cigognes s’effarouchaient. Il ne m’agréait que tout juste de voler ainsi, suspendu à des distances énormes au-dessus de la terre, traîné à droite, à gauche, plus haut ; plus bas, à travers des zigzags interminables ; mais je