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suffisante, le marchand avait le droit d’enterrer ; mais la raison du plus fort est, en Corée, presque toujours la meilleure, et les nobles firent opposition. Le marchand persista, loua secrètement une centaine d’individus déterminés, pour vaincre toute résistance de la part des gardiens, fit l’inhumation selon les règles, et se retira avec sa troupe. Il était environ six heures du soir. Les nobles, premiers possesseurs du terrain, demeuraient à trois lieues de là, et, bien qu’on les eût avertis dès le matin, ils ne purent arriver, avec deux ou trois cents hommes, qu’une demi-heure trop tard. La montagne leur était ravie. N’osant toucher au cadavre fraîchement inhumé, ils se lancèrent avec leurs gens à la poursuite du marchand, battirent ses affidés, le saisirent lui-même, lui lièrent les pieds et les mains, et l’apportèrent, au milieu des plus effroyables vociférations, jusque sur la tombe de son père. Le pauvre malheureux, à moitié mort de frayeur et de fatigue, donna le premier coup de bêche. Les autres purent alors déterrer le corps, ce qui fut fait en quelques minutes, et le marchand dut chercher ailleurs un lieu de sépulture.

Les gens du peuple ont recours à tous les moyens pour protéger leurs tombeaux. Un jour, des prétoriens voulurent enterrer un des leurs dans l’endroit que possédait une famille pauvre. Le chef de cette famille voyant que toutes les réclamations étaient inutiles, assista tranquillement à l’enterrement fait par les prétoriens et, après la cérémonie, offrit du vin aux fossoyeurs, qui l’acceptèrent. Puis avec le plus grand sang-froid, il se coupa lui-même les chairs des cuisses, et leur en offrit les morceaux saignants pour compléter leur repas. Le mandarin apprenant le fait, et entendant les exécrations dont le peuple chargeait ses prétoriens, les fit punir sévèrement, et les força à déterrer leur mort et à rendre la place au premier propriétaire. Une autre fois, un abatteur de bœufs fut dépossédé de la sépulture de son père, par un noble très-puissant qui enterra sa mère dans le même lieu, à deux pas de distance. Le pauvre homme, loin de résister, se prêta de la meilleure grâce à aider ceux qui faisaient la cérémonie, et obtint, en récompense de sa bonne volonté, d’être nommé gardien du nouveau tombeau. Après quelques jours, il planta une haie entre les deux cadavres. Le noble étant venu faire sa visite habituelle à la tombe de sa mère, demanda des explications. « J’ai été forcé d’agir ainsi, répondit le gardien, mais il m’est impossible, dussé-je mourir, de vous en dire la raison. » Le noble, très-intrigué, le flatte, le caresse, lui prodigue les assurances d’impunité. « Comment parler de choses sembla-