Page:Dallet - Histoire de l'Église de Corée, volume 1.djvu/406

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est plutôt, à proprement parler, un journal de ses émotions, de ses pensées, de ses craintes, de ses souvenirs, de ses espérances ; c’est une série de fragments écrits ? la dérobée, malgré la surveillance jalouse des geôliers. La voici tout entière, d’après les copies précieusement conservées dans diverses familles chrétiennes. Jamais la foi, la chasteté, la simplicité, l’amour de Jésus-Christ, n’ont parlé un plus beau langage ; et quand on se souvient que la jeune fille qui écrit ainsi n’avait pu recevoir qu’une instruction religieuse très-limitée, qu’elle n’avait pu participer que deux ou trois fois aux sacrements, on admire d’autant plus l’action directe de l’Esprit-Saint sur cette belle âme. On sent avec bonheur que lui seul a pu créer dans ce cœur virginal des sentiments d’une aussi exquise délicatesse, et mettre sous la plume de cette jeune néophyte des paroles qui rappellent les plus touchants récits de la primitive Église.


« À mes deux sœurs.

« Je prends la plume et ne vois rien à dire. Mon pauvre frère est-il mort ou en vie ? J’avais eu indirectement de ses nouvelles, dans les premiers jours de la neuvième lune, mais depuis, ayant été prise moi-même, je suis assise enfermée sans qu’aucune nouvelle puisse me parvenir. La pensée de mon frère m’oppresse et me serre le cœur. S’il a signé sa sentence, tout doit être fini maintenant, mais avant sa mort il ne peut entrer en possession du bonheur. Et cependant, quelle position pour toute la famille ! Comment ma mère et ma belle-sœur pourront-elles y résister ? Il me semble qu’il ne doit plus leur rester un seul battement de pouls. Quand je songe à cela, ce n’est qu’inquiétudes et anxiétés, et quelles paroles pourraient rendre ce que je ressens ! Comment aurez-vous supporté tous les embarras du décès ? et puis, si le dénouement n’a pas encore eu lieu, comment Charles pourra-t-il tenir dans cette prison si froide ? Qu’il soit mort ou en vie, les entrailles de ma mère ne peuvent qu’en être également desséchées !

« Pour moi, mes péchés sont si lourds, l’horizon qui m’entoure est si sombre que je ne sais comment tout rendre par écrit, et ne trouve rien à dire. Me voilà parvenue sur le terrain de la mort, et je ne sais quels termes employer, et toutefois je veux vous dire quelques mots de ce qui s’est passé, et vous faire mes adieux de ce monde pour l’éternité. Cette année, quand déjà j’avais les entrailles déchirées par suite de tant de calamités sans remède, je dus encore me voir séparée de ce qui restait de ma famille. Dès