Page:Dallet - Histoire de l'Église de Corée, volume 2.djvu/146

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fort bien, et se disaient à l’oreille, qu’il y avait dans le royaume trois Européens prêchant la religion. Il était clair, par conséquent, que ces ornements ne pouvaient appartenir à d’autres qu’à eux. Mais on n’osait pas pousser les choses trop loin, car si le fais venait à être prouvé juridiquement, il faudrait prendre ces Européens, et une fois arrêtés, qu’en faire ? C’était, suivant leurs propres expressions, une affaire trop grande pour un petit royaume gouverné par un roi de dix ans.

« En revanche, le juge espérait avoir bon marché des enfants. Ils étaient trois : le fils de Damien, âgé de douze ans, le fils d’Augustin, du même âge, et sa fille Agathe, âgée de dix-sept ans. Il essaya d’abord de les amener à l’apostasie par de douces paroles et, n’y pouvant réussir, fit employer les supplices ; mais ces enfants, transformés en héros par la grâce, n’écoutaient ni menaces, ni promesses, ne s’effrayaient pas des supplices et demeuraient inébranlables. Le mandarin étonné les considérait comme des êtres extraordinaires, et les envoya tous avec leurs parents à la prison du tribunal des crimes. Il voulait renvoyer sans jugement la vieille mère d’Augustin, âgée de quatre-vingts ans, et un de ses petits enfants, âgé de huit ans ; mais cette généreuse chrétienne eut encore assez de force pour déclarer qu’elle voulait rester avec toute sa famille, et le juge y consentit.

« En apprenant ces arrestations, ces interrogatoires, ces tortures, un grand nombre de chrétiens timides furent frappés d’épouvante ; mais beaucoup d’autres priaient Dieu ardemment de les bien préparer à supporter les épreuves que sa providence semblait leur réserver. Quelques-uns même brûlaient du désir de verser leur sang pour la cause de Jésus-Christ, s’excitaient mutuellement au martyre, et cherchaient les moyens de se le procurer. Au nombre de ces derniers furent les six femmes dont nous allons rapporter l’histoire. Dans le village de Pong-t’sien, non loin de la capitale, vivait une famille du nom de Ni, appartenant à la noblesse de province. La mère Madeleine He et ses deux filles Barbe et Madeleine pratiquaient ensemble la religion avec beaucoup de ferveur ; mais, gênées par le père, païen et violent ennemi du christianisme, elles étaient obligées de faire leurs exercices en secret, et de supporter des vexations domestiques sans nombre. Barbe, arrivée à l’âge nubile, fut promise par son père à un païen ; mais, déterminée qu’elle était à ne pas consentir contre sa conscience à un pareil mariage, elle fit semblant d’être estropiée de la jambe et de ne pouvoir se lever. Elle resta donc continuellement assise ou couchée, et le